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Les bons -- ils ne peuvent créer, ils sont toujours le commencement de la fin --
-- Ils crucifient celui qui grave de nouvelles valeurs sur de nouvelles tables, ils sacrifient l'avenir à leur profit, ils crucifient tout avenir des hommes !
Les bons -- ils furent toujours le commencement de la fin.
Et quelque mal que puissent faire les calomniateurs du monde, le mal que font les bons est le plus nuisible des mauxNietzsche|Ainsi parlait Zarathoustra
La chose la plus importante du monde est justement celle qu'on ne peut dire
A map is not the territory it represents, but, if correct, it has a similar structure to the territory, which accounts for its usefulness.
Alfred Korzybski
L’exercice propre à l’âme consiste d’abord à faire que soient toujours à notre disposition les démonstrations qui prouvent que les biens apparents ne sont pas des biens et que les maux apparents ne sont pas des maux, et à s’accoutumer à séparer et distinguer les vrais biens de ceux qui ne le sont pas vraiment ; il consiste ensuite à s’exercer et à ne fuir aucun des maux apparents et à ne poursuivre aucun des biens apparents, à rejeter par tout moyen les maux vraiment tels et à rechercher de toute manière les biens vraiment tels.
Musonius-Rufus|Entretiens
Dans la perspective de l'imminence de la mort, une seule chose compte : s'efforcer d'avoir toujours présentes à l'esprit les règles de vie essentielles, se remettre toujours dans la disposition fondamentale du philosophe qui, nous le verrons, consiste essentiellement à contrôler son discours intérieur, à ne faire que ce qui rend service à la communauté humaine, à accepter les événements que nous apporte le cours de la Nature du Tout
L'Histoire intéresse avant tout l'homme créatif et puissant, celui qui mène un grand combat, cherche des modèles, des initiateurs et des consolateurs, et n'arrive pas à les trouver parmi ses compagnons ni dans le temps présent [...]. La foi en une commune appartenance et une continuité des grandeurs de tous les temps, c'est une protestation à l'encontre du flux des générations et de l'éphémère. Ainsi de quel avantage est pour le contemporain la prise en compte monumentale du passé, la culture des classiques et de l'élite des temps antérieurs ? Il en retient que la grandeur qui fut a pour le moins été possible et pourrait bien toujours revenir. Il a plus de cœur à avancer puisqu'il a chassé le soupcon qui l'assaille aux heures de faiblesse, de vouloir peut-être l'impossible.
Nietzsche|Considérations inactuelles
Pour un homme pieux il n'y a pas encore de solitude, - c'est nous qui avons été les premiers à inventer la solitude, nous autres impies.
Une vie qui ne se vit plus à partir du besoin, en fonction des moyens et des fins, mais à partir d'une production, d'une productivité, d'une puissance, en fonction des causes et des effets
Gilles Deleuze|Spinoza, philosophie pratique
Dans tes mains ne retiens rien,
Dans l'âme nul souvenir,Car une fois refermées
Tes mains sur l'ultime obole,Quand tes mains on ouvrira,
Rien de rien n'en tombera.Quel trône te veut-on donner ?
Qu'Atropos ne te puisse ôter ?Quels lauriers qui ne se flétrissent
Quand Minos rendra ses arrêts ?Quelles heures qui ne te dressent
La stature de cette ombreQue tu seras lorsque tu t'en iras
Dans la nuit, au bout de la route ?Cueille les fleurs mais jette-les
Des mains à peine les vois-tu.Assieds-toi au Soleil. Abdique.
Et sois roi de toi-même.Fernando Pessoa
Le pouvoir se manifeste toujours chez son détenteur dans l'extension de son propre accès au monde, souvent aux dépens de tiers
L'Histoire de toute société jusqu'à nos jours n'a été que l'Histoire des luttes de classes [...]. Homme libre et esclave, patricien et plébéien, en un mot oppresseurs et opprimés, en opposition constante ont mené une guerre ininterrompue [...]. Le caractère distinctif de notre époque, de l'époque de la bourgeoisie, est d'avoir simplifié les antagonismes de classes. La société se divise de plus en deux vastes camps ennemis, en deux grandes classes diamétralement opposées : la bourgeoisie et le prolétariat.
Karl Marx|Le manifeste du Parti Communiste
Seul le sage est capable de faire coïncider sa raison avec la Raison universelle. Mais cette coïncidence parfaite ne peut être qu'un idéal. Le sage est nécessairement un être d'exception. [...] Il en résulte que [...] toute l'humanité est insensée. Il y a chez les hommes une corruption, une déviation quasi générale de la raison
Le phalanstère devait ramener les hommes à un système de rapports où la moralité n'a plus rien à faire [...]. Fourier ne songe pas à se fier pour cela à la vertu, mais à un fonctionnement efficace de la société dont les forces motrices sont les passions [...]. Fourier se représente la psychologie collective comme un mécanisme d'horlogerie. L'harmonie fouriériste est le produit nécessaire de ce jeu combiné.
Walter Benjamin|Paris capitale du XIXe siècle
Un jour nous arrivons à notre but - et dès lors nous indiquons avec fierté le long voyage que nous avons dû faire pour y parvenir. En réalité, nous ne remarquions pas que nous voyagions. C'était au point qu'à chaque endroit nous avions l'illusion d'être chez nous.
Être philosophe, ce n'est pas avoir reçu une formation philosophique théorique, ou être professeur de philosophie, c'est, après une conversion qui opère un changement radical de vie, professer un mode de vie différent de celui des autres hommes.
L'homme existe d'abord, se rencontre, surgit dans le monde, et se définit après. L'homme tel que le conçoit l'existentialisme, s'il n'est pas définissable, n'est d'abord rien. Il ne sera qu'ensuite, et il sera tel qu'il se sera fait.
Ainsi, il n'y a pas de nature humaine, puisqu'il n'y a pas de Dieu pour la concevoirJean-Paul Sartre|L'existentialisme est un humanisme
Tout agir est causé par une évaluation
Épictète|Entretiens
Un dogme, c'est un principe universel qui fonde et justifie une certaine conduite pratique et peut se formuler en une ou plusieurs propositions.
Lorsque Zarathoustra fut âgé de trente ans, il quitta sa patrie près du lac Ourmi et s'en alla dans la montagne. Là il jouit de son esprit et de sa solitude et ne s'en lassa point dix années durant. Mais enfin son cour se transforma, - et un matin, se levant avec l'aurore, il s'avança vers le soleil et lui parla ainsi: "Ô grand astre! quel serait ton bonheur si tu n'avais pas ceux que tu éclaires! Depuis dix ans tu viens ici vers ma caverne : tu te serais lassé de ta lumière et de ce chemin, sans moi, mon aigle et mon serpent; mais nous t'attendions chaque matin, nous te prenions ton superflu et nous t'en bénissions, Eh bien vois! Je suis dégoûté de ma sagesse, comme l'abeille qui a recueilli trop de miel, j'ai besoin de mains qui se tendent. Je voudrais donner et distribuer jusqu'à ce que les sages parmi les hommes soient redevenus joyeux de leur folie, et les pauvres heureux de leur richesse. Pour cela je dois descendre dans les profondeurs : comme tu fais le soir, quand tu vas derrière les mers, apportant ta clarté au-dessous du monde, ô astre débordant de richesse! - Je dois descendre, ainsi que toi, me coucher, comme disent les hommes vers qui je veux aller. Bénis-moi donc, oeil tranquille, qui peux voir sans envie un bonheur même trop grand! Bénis la coupe qui veut déborder, que l'eau toute dorée en découle apportant partout le reflet de ta joie! Vois! cette coupe veut se vider à nouveau et Zarathoustra veut redevenir homme." - Ainsi commença le déclin de Zarathoustra
Pour le nouvel an - Je vis encore, je pense encore : il faut encore que je vive, car il faut encore que je pense. Sum, ergo cogito : cogito, ergo sum. C'est le jour où chacun se permet d'exprimer son désir et sa pensée la plus chère et, moi aussi, je vais dire ce qu'aujourd'hui je souhaite de moi-même et quelle est la pensée que, cette année, j'ai prise à cœur la première - quelle est la pensée qui devra être dorénavant pour moi la raison, la garantie et la douceur de vivre! Je veux apprendre toujours davantage à considérer comme beau ce qu'il y a de nécessaire dans les choses :- ainsi je serai de ceux qui rendent belles les choses. Amor fati: que cela soit dorénavant mon amour. Je ne veux pas entrer en guerre contre la laideur. Je ne veux pas accuser, je ne veux même pas accuser les accusateurs. Détourner mon regard, que ce soit là ma seule négation! Et, somme toute, pour voir grand : je veux n'être un jour qu'affirmateur!
Le siècle n'a pas su répondre aux nouvelles virtualités technique par un ordre social nouveau. [...] Le monde dominé par ses fantasmagories, c'est [...] la modernité.
Walter Benjamin|Paris capitale du XIXe siècle
Les carrières se dessinent au gré d'une alternance permanente d'écoute et de réponse aux circonstances extérieures - les options et les impératifs - et aux dispositions intérieures, les deux poles se transformant constamment.
L'être humain est défini [...] comme l'être qui a été confié au souci de soi. [...] Le souci de soi, pour Épictète, est un privilège-devoir, un don-obligation qui nous assure la liberté en nous astreignant à nous prendre nous-mêmes comme objet de toute notre application.
Michel Foucault|Le souci de soi
Nous n'opérons qu'avec des choses qui n'existent pas, avec des lignes, des surfaces, des corps, des atomes, des temps divisibles, des espaces divisibles - comment une interprétation saurait-elle être possible si, de toute chose, nous faisons d'abord une image, à notre image? Il suffit de considérer la Science comme une humanisation des choses, aussi fidèle que possible.
Les transformations de Haussman apparaissent aux Parisiens comme un monument du despotisme napoléonien. Les habitants de la ville ne s'y sentent plus chez eux; ils commencent à prendre conscience du caractère inhumain de la grande ville.
Walter Benjamin|Paris capitale du XIXe siècle
Pour les stoïciens, la vertu est une disposition de la partie directrice de l'âme... ou plutôt est la raison cohérente avec elle-même, ferme et constante. Ils ne croient pas que la faculté passionnelle et irrationnelle soit distincte de la faculté rationnelle par une différence de nature. [...] La passion est ainsi la raison, mais vicieuse et depravée, qui, par l'effet d'un jugement mauvais et perverti, a acquis force et vigueur.
Plutarque
Toute société organisée endort les passions
Le récit du temps offert par Marx est un philosophie de l'Histoire qui s"inscrit dans la claire filiation de Hegel [...], tout en le remettant à l'endroit ou plutôt les pieds sur terre [...]: la dialectique de l'esprit imaginée par Hegel devient chez eux, une dialectique de la matière, des moyens de production, des rapports sociaux, soutenue par une lecture attentive de l'Histoire et une immense érudition.
Johann Chapoutot|Le Grand Récit
Si tu veux aider quelqu'un, aide ceux dont tu comprends entièrement la peine, ceux qui ont avec toi une joie, et un espoir en commun - tes amis : et seulement de la façon dont tu t'aides toi-même : - "je veux les rendre plus courageux, plus endurants, plus simples et plus joyeux! Je veux leur apprendre ce qu'aujourd'hui si peu de gens comprennent [...] : non plus la souffrance commune, mais la joie commune!"
Nous avons quitté la terre et sommes montés à bord! Nous avons brisé le pont qui est derrière nous - mieux encore, nous avons brisé la terre qui était derrière nous! Eh bien! petit navire, prends garde! À tes côtés il y a l'océan : il est vrai qu'il ne mugit pas toujours, et parfois sa nappe s'étend comme de la soie et de l'or, une rêverie de bonté. Mais il viendra des heures où tu reconnaîtras qu'il est l'infini et qu'il n'y a rien de plus terrible que l'infini. Hélas! pauvre oiseau, toi qui t'es senti libre, tu te heurtes maintenant aux barreaux de cette cage! Malheur à toi, si tu es saisi du mal du pays, et su tu regrettes la liberté que tu avais là-bas, - car maintenant il n'y a plus de "terre"!
Comprendre, c'est recréer. Comprendre c'est suivre le même chemin que le créateur a fait. [...] C'est pourquoi la connaissance véritable, la connaissance intuitive chez Bergson, est véritablement un acte, et un acte immédiat, par lequel nous nous identifions à la chose.
Les maîtres de première qualité se reconnaissent en ceci que, pour ce qui est grand comme ce qui est petit, ils savent trouver la chute d'une façon parfaite
Un feu ardent transforme en flammes et en lumière tout ce que tu y jettes.
Marc-Aurèle|Pensées pour moi-même
L'indisponibilité devient une impossibilité de penser parce qu'elle n'est plus que le pas-encore-disponible, ce-qui-doit-encore-être-rendu-disponible
Toute l'économie de mon âme, son équilibre par le "malheur", les nouvelles sources et les besoins nouveaux qui éclatent, les vieilles blessures qui se ferment, les époques entières du passé qui sont refoulées - tout cela, tout ce qui peut être lié au malheur, ne préoccupe pas ce cher compatissant, il veut secourir et il ne pense pas qu'il existe une nécessité personnelle du malheur. [...] Comme vous connaissez mal le Bonheur des hommes, gens du confort et de bonne volonté! - car le Bonheur et le malheur sont des frères jumeaux qui grandissent ensemble, ou bien qui comme chez vous, restent petits ensemble!
Le programme de mise à disposition du monde menace, au bout du compte, de mener à une indisponibilité radicale catégoriquement différente et plus grave que l'indisponibilité originelle, parce que nous ne pouvons pas ressentir d'efficacité personnelle à son égard et parce que nous ne pouvons entrer avec lui dans aucune relation de réponse ni aucun rapport d'assimilation
Quelle place le philosophe tiendra-t-il dans la cité? Ce sera celle d'un sculpteur d'homme.
Simplicius
Nous qui sommes riches et prodigues en esprit, placés comme des puits ouverts au bord de la route, ne voulant interdire à personne de puiser chez nous, nous ne savons malheureusement pas nous défendre, lorsque nous désirerions le faire, nous n'avons pas de moyens pour empêcher que l'on nous trouble, que l'on nous obscurcisse, que l'époque où nous vivons jette au fond de nous-mêmes son actualité la plus récente, que les oiseaux malpropres de cette époque y jettent leurs immondices, les gamins leurs bricoles et des voyageurs épuisés qui y reposent leurs petites et leurs grandes misères. Mais nous ferons ce que nous avons toujours fait ; nous entraînerons tout au fond ce que l'on nous jette - car nous sommes profonds, ne l'oublions pas - *et nous redeviendrons clairs...
J'ai saisi cette idée au vol, et vite j'ai pris les premiers mots venus pour la fixer, de crainte qu'elle ne s'envole de nouveau. Et maintenant elle est morte de ces mots stériles; elle est là suspendue, flasque sous ce lambeau verbal - et en la regardant, je me rappelle à peine encore comment j'ai pu avoir un tel bonheur en attrapant cet oiseau.
Ce qui comptait désormais semblait être le combien, pas le comment. Combien : la vitesse atteinte, la distance parcourue, les records de trajet. Et pas comment : le courage physique, la finesse de contre, l'invention d'une Trace.
Alain Damasio|La Horde du contrevent
Tout est censé être fluide mais rien ne le sera: il faudra s'adapter aux routines du robotaxi, à ses bugs, à ses contraintes techniques et a ses règles de sécurité absurdes visant à parer à 1 incident sur 20000 en exaspérant 19999 clients au nom de ce cas aberrant exceptionnel.
L'empathie revêt une importance sociale non négligeable : disons seulement que c'est la vertu qui peut nous permettre de faire société, ou communauté, au choix. En nous permettant d'accéder à autrui, à sa psyché et à ses raisons, à son histoire et à son être-au-monde, elle nous permet de vivre avec lui ou, du moins, à ses côtés, en famille comme en société. On conviendra que c'est là une vertu bien utile. Et si l'empathie nous permet de vivre avec autrui, l'imagination quand à elle, nous permet de nous accommoder de nous-même, ce qui, là non plus, n'est pas un mince mérite, tout comme elle nous permet de penser une autre vie et un autre monde.
La sempiternelle et lassante question de l'utilité des lettres apparaît dès lors bien oiseuse, à peine digne de butoirs sans vie intérieure ni imagination.Johann Chapoutot|Le Grand Récit
Sous l'éclairage mortel de cette destinée, l'inutilité apparaît. Aucune morale, ni aucun effort ne sont a priori justifiables devant les sanglantes mathématiques qui ordonnent notre condition
Le darwinisme anglais tout entier respire une atmosphère semblable à celle que produit la surpopulation des grandes villes anglaises, l’odeur de petites gens, misérablement à l’étroit. Mais lorsque l’on est naturaliste, on devrait sortir de son recoin, car dans la nature règne, non la détresse, mais l’abondance, et même le gaspillage jusqu’à la folie. La lutte pour la vie n’est qu’une exception, une restriction momentanée de la volonté de vivre
Partout ailleurs, l'esprit libre ne trouve pas assez d'air ni de propreté; il craint qu'ailleurs [...] la moitié de sa vie lui passerait entre les doigts, perdue dans des malentendus, que partout il faudrait beaucoup de précautions, de secrets, de considérations personnelles, - et tout cela serait une grande et inutile perte de force.
L'Éthique trace le portrait de l'homme du ressentiment, pour qui tout bonheur est une offense, et qui fait de la misère ou de l'impuissance son unique passion. [...] Ce qui empoisonne la vie, c'est la haine, y compris la haine retournée contre soi, la culpabilité.
Gilles Deleuze|Spinoza, philosophie pratique
Le penseur n'a pas besoin d'applaudissements, pourvu qu'il soit certain des siens propres : car de ceux-là il ne peut se passer. Peut-on se dispenser de tout applaudissement? J'en doute fort.
Nul ne contestera que, fondement de l'public/Boîte à outils/Identité et identification, l'histoire sur soi que l'on se raconte à soi-même et que l'on communique aux autres, est une source de bonne santé psychique. On peut aisément définir la dépression comme ce moment où l'on ne croit plus au récit, où la fable s'étiole et se dissipe, pas nécessairement dans l'espace social, mais surtout à ses propres yeux.
Johann Chapoutot|Le Grand Récit
Souvent il ne s'agit pas de rendre des choses - des fragments du monde - atteignables en général mais de les avoir à disposition plus facilement plus efficacement à moindre coût sans grande résistance et de manière plus sûre
Seul inventera une amélioration celui qui sait se dire : " Ceci n'est pas bon."
Ce qui dépend de nous, ce sont donc les actes de notre âme, parce que nous pouvons les choisir librement : nous pouvons juger ou ne pas juger, juger de telle ou telle manière, nous pouvons désirer ou ne pas désirer, vouloir ou ne pas vouloir. Au contraire, ce qui ne dépend pas de nous [...], c'est tout ce qui dépend du cours général de la nature.
L'homme comme tout être vivant, pense sans cesse mais ne le sait pas; la pensée qui devient consciente n'en est que la plus petite partie, disons : la partie la plus médiocre et la plus superficielle; - car c'est cette pensée consciente seulement qui s'effectue en paroles, c'est-à-dire en signes de communication, par quoi l'origine même de la conscience se révèle. En un mot, le développment du langage et le développement de la conscience (non de la raison, mais seulement de la raison qui devient consciente d'elle même) se donnent la main.
Comment? Tu admires l'impératif catégorique en toi? Cette fermeté de ce que tu appelles ton jugement moral? Ce sentiment "absolu" que "tout le monde porte en ce cas le même Jugement que toi"? Admire plutôt son égoïsme! [...] Car c'est de l'égoïsme de considérer son propre Jugement comme une loi générale
L'enjeu-clé de toute emergence technologique: à savoir aux usages et plus largement à la culture d'utilisation que cette invention va potentialiser.
Tout grand homme possède une force rétroactive : à cause de lui, toute l'Histoire est remise sur la balance et mille secrets du passé sortent de leur cachette - pour être éclairés par son soleil
Au fond je n'aime pas toutes ces morales qui disent : "Ne fais pas telle chose! Renonce! Surmonte-toi !" - Jaime par contre toutes ces autres morales, et à en rêver du matin au soir et du soir au matin, à ne pas penser à autre chose qu'à bien faire cela, aussi bien que moi seul je suis capable de le faire ! Qui vit ainsi dépouille continuellement l'une après l'autre les choses qui ne font pas partie d'une pareille vie; sans haine et sans répugnance, il voit aujourd'hui telle chose et demain telle autre prendre congé de lui, comme une feuille jaunie se détache de l'arbre au moindre souffle : d'ailleurs, il peut ne pas même s'apercevoir qu'elle le quitte, tant son oeil regarde sévèrement son but, en avant et non à côté, en arrière ou vers le bas. "Notre activité doit déterminer ce que nous laissons de côté : en agissant, nous délaissons"
La Résonance ne s'instaure qu'avec un vis-à-vis qui, en quelque sorte, "parle de sa propre voix", qui a quelque chose comme une volonté ou un caractère propres ou du moins une logique intérieure qui, en tant que tels, restent indisponibles. Et plus encore, je dois pouvoir concevoir cette voix, en tant qu'elle me parle pour pouvoir la concevoir aussi dans un certain sens comme responsive
Il faut toujours se faire une définition ou une description de l'objet qui se présente dans la représentations, afin de le voir en lui-même, tel qu'il est en son essence, dans sa nudité, dans sa totalité et dans tous ses détails, et se dire à soi-même le nom qui lui est propre et le nom des parties qui le composent et dans lesquelles il se résoudra
Marc-Aurèle|Pensées pour moi-même
Tâcher toujours plutôt à me vaincre que la fortune, et à changer mes désirs que l’ordre du monde
Descartes|Discours de la méthode
L'Amérique n'est ni un rêve, ni une réalité, c'est une hyperréalité. C'est une hyperréalité parce que c'est une Utopie qui dès le début s'est vécu comme réalisée. Tout ici est réel, pragmatique, et tout vous laisse rêveur. [...]
Les Américains, eux, n'ont aucun sens de la simulation. Ils en sont la configuration parfaite, mais ils n'en ont pas le langage, étant eux même le modèle. Il constitue donc le matériau idéal d'une analyse de toutes les variantes possibles du monde moderne. [...]
L'Amérique est la version originale de la Modernité, nous somme la version doublée ou sous-titrée [...]Jean Baudrillard|Amérique
Les chercheurs du Bonheur idéal comme les chercheurs de pierre philosophale ne réaliseront peut-être jamais leur Utopie d'une manière absolue, mais leur Utopie sera la cause de Progrès humanitaires.
Joseph Déjacque|L'Humanisphère
La mythopoïèse est l'art précieux de faire pousser des mythes dans les interstices du béton effondriste.
Si la mythopoïèse est l'avenir du politique, comme je le crois, elle l'est parce que seul le Mythe a cette faculté de fusionner affects, percepts et concepts dans une seule boule d'énergie, dans un seul soleil de la taille d'un poing où toutes nos mains se fondent.
Le Penser identifiant en a toujours déjà fini avec toutes les choses
La littérature, comme toute forme d'art, est la preuve que la vie ne suffit pas.
Fernando Pessoa|Le voyageur immobile
Le monde est purement et simplement devenu le point d'agression. Tout ce qui apparaît doit être connu, conquis, rendu utilisable.
De même que Napoléon n'a pas compris la nature fonctionnelle de l'État en tant qu'instrument de pouvoir de la bourgeoisie, de même les architectes de son époque n'ont pas compris la nature fonctionnelle du fer [...]. Ces architectes construisent des supports à l'imitation de la colonne pompéienne, des usines à l'imitation des maisons d'habitation, de même que plus tard les premières gares affecteront les allures d'un chalet. La construction joue le rôle de subconscient.
Walter Benjamin|Paris capitale du XIXe siècle
Le tourisme, dans toutes ses variantes, remplit une fonction centrale pour la société moderne, non pas tant, ou pas seulement, parce qu'il représente un secteur économique important, mais avant tout parce qu'il symbolise, promet et exprime un rapport déterminé au monde. Le visiteur d'une agence de voyage ou des sites Internet qu'elle gère a pratiquement "le monde à ses pieds".[...]
L'extension prodigieuse de l'accès au monde dans la Modernité tardive apparait ici de manière éloquente.
Un concept, ce n’est pas du tout quelque chose de donné. Bien plus, un concept ce n’est pas la même chose que la pensée : on peut très bien penser sans concept, et même, tous ceux qui ne font pas de philosophie, je crois qu’ils pensent, qu’ils pensent pleinement, mais qu’ils ne pensent pas par concepts – si vous acceptez l’idée que le concept soit le terme d’une activité ou d’une création originale. Je dirais que le concept, c’est un système de singularités prélevé sur un flux de pensée. Un philosophe, c’est quelqu’un qui fabrique des concepts. Est-ce que c’est intellectuel ? A mon avis, non.
"Donner du style" à son caractère - c'est là un art considérable qui se rencontre rarement! Celui-là l'exerce qui aperçoit dans son ensemble tout ce que sa nature offre de forces et de faiblesses pour l'adapter ensuite à un plan artistique, jusqu'à ce que chaque chose apparaisse dans son art et sa Raison et que les faiblesses mêmes ravissent l'œil. Ici il a ajouté une grande part de seconde nature, là il a enlevé un morceau de nature première : - dans les deux cas, il a fallu une lente préparation et un travail quotidien. [...] Il fait attendre la fin de l'ouvrage pour voir régner partout le même goût, en grand et en miniature : la qualité du goût, qu'il soit bon ou mauvais, importe beaucoup moins qu'on ne croît, - l'essentiel c'est que le goût soit un.
Lorsque vous saurez qu'il n'y a point de fins, vous saurez aussi qu'il n'y a point de hasard : car ce n'est qu'à côté d'un monde de fins que le mot "hasard" a un sens.
Les acteurs de l'Histoire puisent courage et entrain dans le passé car il fait écran, un écran épique ou héroïque, avec les taches triviales, voire sordides, qu'ils ont à effectuer.
Johann Chapoutot|Le Grand Récit
Il faut de temps en temps nous reposer de nous-mêmes, en nous regardant de haut, avec une distance artistique, pour rire, pour pleurer sur nous; il faut que nous découvrions le héros et aussi le fou que cache notre Passion de la Connaissance; il faut, de-ci, de-là, nous réjouir de notre folie pour pouvoir rester joyeux de notre Sagesse. Et c'est précisément parce que nous sommes au fond des hommes lourds et sérieux, et plutôt encore des poids que des hommes, que rien ne nous fait autant de bien que le bonnet du fou.
La solitude n'existe pas. Nul n'a jamais été seul pour naître. La solitude est cette ombre que projette la fatigue du lien chez qui ne parvient plus à avancer peuplé de ceux qu'il a aimés, qu'importe ce qui lui a été rendu.
Alain Damasio|La Horde du contrevent
L'être le plus débordant de vie, le dieu et l'homme dionysien, peut se permettre non seulement de regarder ce qui est terrible et inquiétant, mais encore s'offrir le luxe de le faire lui-même, de tout détruire, de tout désagréger, de tout nier; sa surabondance l'autorise en somme à la méchanceté, à l'inanité, à la laideur, car il est capable de faire de chaque désert un pays fertile.
Toujours vouloir la même chose, toujours refuser la même chose.
Sénèque
Nous avons donné aux choses une couleur nouvelle, et nous continuons sans cesse à les peindre autrement, - mais que pouvons-nous jusqu'à présent contre la splendeur du coloris de vette vieille maîtresse! - je veux dire l'ancienne humanité
Il est impossible de survivre dans un environnement cognitif saturé de messages sans savoir mettre à distance, analyser et critiquer. Mettre à distance, c'est-à-dire garder la maîtrise rationnelle du flux, et savoir l'arrêter pour penser. Analyser, c'est étymologiquement dissoudre et isoler, découper en unités placées sur le banc d'essai de la raison pour critiquer, c'est-à-dire, étymologiquement là encore, séparer le vrai du faux, le trompeur du juste, le fallacieux du recevable. [...]
La déshérence des humanités, des savoirs littéraires, c'est la déchéance de l'humain en nous, de ce qui nous rend libres.[...]
Il reste que, par gros temps, au moment des épreuves et des fracas de la vie, c'est bien la toile des mots que l'on tend, en thérapie ou en rédigeant un journal intime, pour se substantialiser enfin et faire trace, faire corps, dans un monde dissolvant. Les mots que l'on trace, c'est une réalisation de soi, une manière de devenir réel en s'objectivant sur le papier.Johann Chapoutot|Le Grand Récit
He would always be one for whom the return was as important as the voyage out. To go was not enough for him, only half enough; he must come back. [...] Indeed the very nature of the voyage, like a circumnavigation of the globe, implied return. You shall not go down twice to the same river, nor can you go home again. That he knew; indeed it was the basis of his view of the world. Yet from that acceptance of transience he evolved his vast theory, wherein what is most changeable is shown to be fullest of eternity, and your relationship to the river, and the river's relationship to you and to itself, turns out to be at once more complex and more reassuring than a mere lack of identity. You can go home again, [...] so long as you understand that home is a place where you have never been.
There was no end. There was process: process was all. You could go in a promising direction or you could go wrong, but you did not set out with the expectation of ever stopping anywhere.
À côté de la position ouverte de la philanthropie la bourgeoisie a de tout temps assumé la position couverte de la lutte des classes.
Walter Benjamin|Paris capitale du XIXe siècle
Où l'on domine il y a des masses : où il y a des masses il y a besoin d'esclavage. Où il y a de l'esclavage, les individus sont en petit nombre et ils ont contre eux les instincts de troupeau et la Conscience.
Au moment où la Révolution proclamait la laïcité [...], l'imaginaire complotiste réinstallait le sacré, la magie, le merveilleux dans ses droits, et offrait à des partisans désordonnés un récit qui les confortant dans leurs convictions profondes, les consacrait comme martyrs et les consolaient
Johann Chapoutot|Le Grand Récit
Lyotard observe que nous vivons désormais un temps des crises sans récit, alors qu'auparavant, les crises étaient fécondes, riches de révolutions ou de bouleversement, interprétées et lues comme telles tout du moins.
Johann Chapoutot|Le Grand Récit
L’art ne reproduit pas le visible, il rend visible.
Paul Klee
Can one dismiss either being, or becoming, as an illusion? Becoming without being is meaningless. Being without becoming is a big bore...
L'essence du caractère blasé est d'être émoussé à l'égard des différences entre les choses, non pas au sens où celles ci ne seraient pas perçues, mais au contraire de telle sorte que l'on éprouve comme nulles l'importance et la Valeur des différences entre les choses, et par là des choses elles mêmes
Les uns, qui se cacheront par l'esprit de sérieux ou par des excuses déterministes, je les appellerai lâches; les autres, qui essaieront de montrer que leur existence était nécessaire, alors qu'elle est la contingence même de l'apparition de l'homme sur la terre, je les appelerai les salauds.
Jean-Paul Sartre|L'existentialisme est un humanisme
L'esprit du socratisme, c'est donc l'affirmation de la valeur absolue du bien moral, découvert par la raison
Ce que nous faisons n'est jamais compris, mais toujours seulement loué ou blâmé
Nous sommes prudents, nous autres hommes modernes, prudents à l'égard des convictions ultimes; notre méfiance se tient aux aguets contre les ensorcellements et les duperies de Conscience qu'il y a dans toute forte croyance, dans tout oui ou non absolu : comment expliquer cela? Peut-être faut-il y voir, pour une bonne part, la circonspection de l'enfant qui s'est brûlé, de l'idéaliste désabusé, mais pour une autre part, la meilleure, la curiosité pleine d'allégresse de celui qui était autrefois collé à son coin jusqu'à en être exaspéré, et qui s'enivre et s'exalte maintenant dans l'illimité, "en toute Liberté". Ainsi se développe une tendance presque épicurienne à chercher la Connaissance, une tendance qui ne laisse pas échapper facilement le caractère incertain des choses ; de même une antipathie contre les grandes phrases et les attitudes morales, un goût qui refuse tous les antagonismes lourds et grossies et qui a Conscience, avec fierté, de son habitude des réserves.
L'expérience de l'absurde est donc bien la mélancolie ou ce que la nosographie appellera quelques décennies plus tard l'épisode dépressif et que nous pourrions définir comme ce moment où l'on ne croit plus, où l'on ne peut plus croire, au Récit.
Johann Chapoutot|Le Grand Récit
Nous autres philosophes et "esprits libres", en apprenant que "le Dieu ancien est mort", nous nous sentons illuminés d'une aurore nouvelle; notre coeur en déborde de reconnaissance, d'étonnement, d'appréhension et d'attente, - enfin l'horizon nous semble de nouveau libre, à défaut d'être clair [...]; la mer, notre pleine mer, s'ouvre de nouveau devant nous
Qu'est ce donc qui peut te faire escorte pour te protéger en cette vie? Une seule et unique chose, la philosophie. Elle consiste à garder le dieu intérieur exempt de souillure et de dommage
Marc-Aurèle|Pensées pour soi même
Toute démarche compréhensive implique une empathie - même quand l'objet est foncièrement antipathique. Elle implique en effet, comme le suggère le mot d'empathie, de ressentir de l'intérieur, de ressentir avec - car comprendre implique aussi la sympathie.
Johann Chapoutot|Le Grand Récit
Et quand tombent tes murs intérieurs et tes faux plafonds, tu mesures que tu es plus vaste que tu ne le croyais. Enfin disponible au frisson qui va te trembler. Ton volume vital se met à respirer et à vibrer comme le booster d'une enceinte. De toi sort doucement une nouvelle musique, qui peut s'écouter, se chanter ou se danser.
Alors quelque chose, avec les autres, peut se passer.
Le propre de l'homme, il en existe une longue liste, dont le dénominateur commun est toujours le récit : le langage, l'humour, le rire, la conscience, le sentiment religieux, les larmes, l'amour... Le récit, soit la médiation par le langage, l'inscription dans le temps, la mise en ordre des événements, la formulation des causes et des conséquences, et l'induction d'un sens à tout cela, ponctué - ou non - par un programme d'action ou par le constat amer que tout est perdu, que c'était mieux avant ou que c'est ainsi, qu'il n'y a rien à faire.
Johann Chapoutot|Le Grand Récit
On voit ce qui a en somme triomphé du Dieu chrétien : c'est la morale chrétienne elle-même, la notion de véracité appliquée avec une rigueur toujours croissante, c'est la Conscience chrétienne aiguisée dans les confessionnaux et qui s'est transformée jusqu'à devenir la Conscience scientifique, la probité intellectuelle à tout prix.
Le Complotisme apparaît comme la tentation permanente et le refuge psychique des "perdants", dont il exprimerait le double sentiment de révolte et d'impuissance tout en les réconfortant.
Pierre-André Taguieff|Les théories du complot
L'homme est devenu peu à peu un animal fantastique qui doit remplir une condition d'existence de plus que tout autre animal : l'homme doit de temps en temps croire qu'il sait pourquoi il existe, son espèce ne peut pas prospérer sans une confiance périodique en la vie! Sans la foi en la raison dans la vie. Et l'espèce humaine finira toujours par décreter : "Il y a quelque chose sur quoi l'on n'a absolument pas le droit de rire!"
Tout ce qui est de mon espèce, dans la nature et dans la société, me parle, me loue, me pousse en avant, me console - : le reste je ne l'entends pas, ou bien, je m'empresse de l'oublier. Nous ne demeurons toujours qu'en notre société
Faisons ce qui est seul en notre pouvoir : apportons la lumière à la terre, soyons "la lumière de la terre"! Et c'est pour cela que nous avons nos ailes, notre rapidité et notre sévérité
Le fondateur du christianisme s'imaginait que rien ne faisait souffrir d'avantage les hommes que leurs péchés : - c'était une erreur, l'erreur de celui qui se sent sans péchés, qui manque d'expérience! Ainsi son âme s'emplit de cette merveilleuse pitié qui allait à un mal dont son peuple lui-même, l'inventeur du péché, souffrait rarement comme d'un mal! - Mais les chrétiens ont su donner raison à leur maître après coup, ils ont sanctifié son erreur pour en faire une "vérité"
De ces deux orateurs l'un n'atteint toute la Raison de sa cause que lorsqu'il s'abandonne à la Passion : la Passion seule lui fait monter assez de sang et de chaleur au cerveau pour forcer sa haute intelligence à se révéler.
Savoir "perfectionner sa propre âme à l'aide de la raison" est une règle "également nécessaire pour tous les hommes".
Michel Foucault|Le souci de soi
Le phénomène est construit par le sujet ; quand au noumène, il reste de l'ordre de l'imperceptible
Johann Chapoutot|Le Grand Récit
Je loue toute espèce de scepticisme auquel il m'est permis de répondre : "Essayons toujours!" Mais je ne veux plus entendre parler de toutes les choses et de toute les questions qui ne permettent pas l'expérience. Ce sont là les bornes de ma "véracité" : car ici la bravoure a perdu son Droit
Qu'est désormais pour moi l'"apparence"? Ce n'est certainement pas l'opposé d'un "être" quelconque [...] L'apparence est pour moi la vie et l'action elle-même qui, dans son Ironie de soi-même, va jusqu'à me faire croire qu'il y a là apparence.
Notre temps, au fond, n'est guère plus capable, sur le fondement de sa lecture quantitative du monde, que de passer de l'analyse à la prévision grâce à la statistique. Nous connaissons et nous projetons du quantitatif ordonné, déjà connu, le long d'un axe mathématique symbolisant le temps, grâce à la statistique prédictive : "le futur, pensé à partir du présent [...] se résume tout entier en un prolongement du présent"
Johann Chapoutot|Le Grand Récit
Je veux apprendre toujours d'avantage à considérer comme beau ce qu'il y a de nécessaire dans les choses : - ainsi je serai de ceux qui rendent belles les choses. Amor fati : que cela soit dorénavant mon amour. Je ne veux pas entrer en guerre contre la laideur. Je ne veux pas accuser, je ne veux pas même accuser les accusateurs. Détourner mon regard, que ce soit là ma seule négation! Et, somme toute, pour voir grand : je veux n'être un jour qu'affirmateur!
Il n'y a pas de Désir qui ne coule dans un agencement
Être philosophe ne consiste pas simplement à avoir de subtiles pensées, ni même à fonder une école, mais à chérir assez la sagesse pour mener une vie conforme à ses préceptes, une vie de simplicité, d'indépendance, de magnanimité, et de confiance. Cela consiste à résoudre quelques-uns des problèmes de la vie, non pas en théorie seulement, mais en pratique.
Thoreau|Walden ou la vie dans les bois
Le sujet qui éprouve l'angoisse de la liberté se rassure en épousant un Récit, celui d'une fonction sociale [...] qui, comme toute fonction, est une fiction, une invention, une création. Mais cette fiction, par son importance existentielle, ne se donne pas pour telle, et refuse d'être identifiée ainsi.
Johann Chapoutot|Le Grand Récit
Si l'Histoire et la littérature, si l'Histoire comme littérature, permettent de dire ce qui fut, elles permettent aussi d'envisager, sereinement ce qui sera
Johann Chapoutot|Le Grand Récit
Caminante, no hay camino
Marcheur, ce sont tes traces
ce chemin, et rien de plus ;
Marcheur, il n'y a pas de chemin,
Le chemin se construit en marchant.
En marchant se construit le chemin,
Et en regardant en arrière
On voit le sentier que jamais
On ne foulera à nouveau.
Marcheur, il n'y a pas de chemin,
Seulement des sillages sur la mer.Caminante, son tus huellas
el camino, y nada mas ;
caminante, no hay camino,
se hace camino al andar.
Al andar se hace camino,
y al volver la vista atras
se ve la senda que nunca
se ha de volver a pisar.
Caminante, no hay camino,
sino estelas en la mar.Antonio Machado
Ce qui aurait pu nuire à l'espèce s'est peut-être éteint déjà depuis des milliards d'années [...] Suis tes meilleurs ou tes plus mauvais penchants et, surtout, va au diable! - dans les deux cas tu seras probablement encore, d'une façon ou d'une autre, le bienfaiteur de l'humanité
Nous ne faisons pas du tout l'expérience des choses dans leur diversité phénoménale, nous ne les appréhendons que dans ce que nous avons rendu disponible en elles sur le plan conceptuel, économique ou Technique.
Mais la raison, pour quel dessein l'avons-nous reçue de la nature? Pour l'usage qu'il convient de faire des représentations. [...] C'est pourquoi, la tâche du philosophe, la première et la principale, est de faire l'épreuve de ses représentations, de les distinguer, de n'en accepter aucune qui n'ait été mise à l'épreuve. [...]
L'essence du bien consiste dans l'usage qui convient des représentations.Épictète|Entretiens
Une tâche demeure toute nouvelle et à peine perceptible à l'œil humain, à peine clairement reconnaissable, la tâche de s'approprier le savoir et de le rendre instinctif
L'output doit être le bon, il doit être calculable et maîtrisable sur le temps temporel et sur celui du contenu : voilà ce qu'exige la logique institutionnelle de la stabilisation dynamique.
Toute tech féconde est d'abord une tech qui émancipe celle ou celui qui l'utilise, qui libère pour elle et en lui des capacités cognitives et des savoirs appropriables.
Bref de nouvelles possibilités de vie.
Faire, et en se faisant se faire, et n'être rien que ce qu'on fait.
Jean-Paul Sartre|L'être et le néant
Si vous me demandez quel est le vrai bien de l’homme, je n’ai pas d’autre réponse à vous faire que la suivante : c’est une certaine disposition de la personne morale.
Épictète|Entretiens
Le particulier qui ne tient compte que des réalités dans son bureau demande à être entretenu dans ses illusions par son intérieur. Cette nécessité est d'autant plus pressante qu'il ne songe pas à greffer sur ses intérêts d'affaires une conscience claire de sa fonction sociale. Dans l'aménagement de son entourage privé il refoule ces deux préoccupations. De là dérivent les fantasmagories de l'intérieur; celui-ci représente pour le particulier l'univers.
Walter Benjamin|Paris capitale du XIXe siècle
[Le charisme] est la croyance en la qualité extraordinaire [...] d'un personnage, qui est, pour ainsi dire, doué de forces ou de caractères surnaturels ou surhumains ou tout au moins en dehors de la vie quotidienne, inaccessible au commun des mortels ; ou encore qui est considéré comme envoyé par Dieu ou comme un exemple, et en conséquence considéré comme un "chef".
Max Weber|Economie et société
L'homme ordinaire se contente de penser de façon quelconque, d'agir au hasard, de subir en maugréant. L'homme de bien, pour sa part s'efforcera, autant qu'il dépend de lui, d'agir avec justice au service des autres hommes, d'accepter avec sérénité les évènements qui ne dépendent pas de lui et de penser avec rectitude et vérité
Devant les perspectives terrifiantes qui s'ouvrent à l'humanité, nous apercevons encore mieux que la paix est le seul combat qui vaille d'être mené. Ce n'est plus une prière, mais un ordre qui doit monter des peuples vers les gouvernements, l'ordre de choisir définitivement entre l'enfer et la raison.
La temporalité de la pensée, qui est lecture, contemplation, méditation, n'est pas celle de cette "action" dont on nous rebat les oreilles, et qui, si l'on prend le temps de l'observer, est une injonction à brasser du néant [...].
Le temps long et lent de la méditation était celui du philosophe grec, ce bios theoretikos qui consistait à regarder (theomai) et à voir vraiment, que les Romains ont traduit par vita contemplativa, celle qui contemple et qui médite. Le bios praktikos, la vita activa, celle qui semble l'alpha et l'oméga de nos existences, lui était inférieure, et de loin. [...] Le bios praktikos, qui enchaîne l'homme au travail et ainsi le privé du loisir de l'étude, de l'activité de la raison, l'éloigne de l'humanité achevée.Johann Chapoutot|Le Grand Récit
Distinguer l'élément causal, c'est reconnaître en soi-même le principe qui dirige tout l'être (l'hégemonikon), le principe de pensée et de jugement qui nous rend indépendant du corps, le principe de liberté qui délimite la sphère de ce qui dépend de nous, par rapport à ce qui ne dépend pas de nous.
Il n'y a pas de vents favorables pour qui ne connait pas son port.
Sénèque
Notre grandeur viendra de ce que nous saurons engendrer des êtres libres. Qu'ils se tiennent debout, qu'ils ne récitent leur longue généalogie que pour mieux regarder devant. [...] Tu vois, je rêve encore, mais c'est parce que j'ai les yeux ouverts sur le champ de nos possibles.
Léonora Miano|Contours du jour qui vient
La philosophie ne ressemble pas aux discours de la rhétorique, encadrés entre exorde et conclusion; elle n'est pas non plus un jardin clos dont le philosophe serait le jardinier
Ainsi que Fourier l'avait prévu, c'est de plus en plus dans les bureaux et les centres d'affaires qu'il faut chercher le véritable cadre de la vie du citoyen. Le cadre fictif de sa vie se constitue dans la maison privée. [...] L'essai de l'individu de se mesurer avec la technique en s'appuyant sur son essor intime le mène à sa perte.
Walter Benjamin|Paris capitale du XIXe siècle
La modernité tardive se rend à elle-même disponible l'expérience de l'indisponibilité massive, en tant qu'option temporaire à laquelle on peut mettre un terme à tout moment
C'est encore et toujours sur une croyance métaphysique que repose notre foi en la science, - que nous aussi, nous qui cherchons aujourd'hui la connaissance, nous les impies et les antimétaphysiques, nous empruntons encore notre feu à l'incendie qu'une foi vieille de mille années a allumé, cette foi chrétienne qui était aussi la foi de Platon, selon laquelle Dieu est la vérité et la vérité est divine...
Comme nous nous exerçons pour faire face aux interrogations sophistiques, nous devrions également nous exercer chaque jour pour faire face aux représentations, car elles aussi nous posent des interrogations. [...]
- César l'a condamné. - Cela ne dépend pas de nous, ce n'est pas un mal.
- Il s'en est affligé. - Cela dépend de nous, c'est un mal.
- Il l'a vaillamment supporté. - Cela dépend de nous, c'est un bien.
Épictète|Entretiens
L'historien dit "le particulier", "ce qui a eu lieu", à un moment donné et en un lieu précis. [...]
La poésie, c'est-à-dire la littérature et plus spécifiquement la tragédie, quant à elle, ne dit pas le particulier mais "le général", soit "ce à quoi l'on peut s'attendre".Johann Chapoutot|Le Grand Récit
Cause et effet : voilà une dualité comme il n'en existe probablement jamais, - en réalité nous avons devant nous un continuum dont nous isolons quelques parties.
Rendre hommage s'apprend autant que mépriser
L'intuition bergsonienne à sa manière vise ce point infiniment délicat que nous appelons le point de vérité et qui correspond à la limite fugitive et à la distance optimale. En deçà, c'est à dire trop loin, le sujet n'a de l'objet qu'une connaissance objective, c'est-à-dire froide et lucide, spéculative et abstraite. Au delà, le sujet se confondrait et coïnciderait avec l'être de l'objet, se perdrait en lui, deviendrait l'objet lui-même par fusion unitive et cesserait de le connaître. [...] Entre la distance glaciale et la brûlante proximité, où et comment assigner l'insaisissable optimum? Comment louvoyer entre la lucidité gnostique, sans participation vécue et la participation ontique sans lucidité?
Ce qui manque, c'est une aptitude, désormais largement perdue, laissée en jachère ou en friche par nos modes de vie numériques, à pouvoir nous confronter à l'altérité. À ce qui n'est pas nous, à ce que nous ne vivons pas, ne partageons pas directement.
Un des traits les plus remarquables de l'utopie fouriériste c'est que l'idée de l'exploitation de la nature par l'homme, si répandue à l'époque postérieure, lui est étrangère. La technique se présente bien plutôt pour Fourier comme l'étincelle qui met le feu aux poudres de la nature. [...] La conception postérieure de l'exploitation de la nature par l'homme est le reflet de l'exploitation de fait de l'homme par les propriétaires des moyens de production. Si l'intégration de la technique dans la vie sociale a échoué, la faute en est à cette exploitation.
Walter Benjamin|Paris capitale du XIXe siècle
L'art de vivre a pour matière la vie de chacun.
Épictète|Entretiens
Une société est moderne si elle n'est en mesure de se stabiliser que de manière dynamique c'est-à-dire si elle a besoin pour maintenir son statu quo institutionnel de la croissance économique de l'accélération technique et de l'innovation culturelle constante
Prévoyant qu'il me faudra d'ici peu m'adresser à l'humanité avec le plus grand défi qui lui ai jamais été lancé, il me paraît indispensable de dire qui je suis. [...] Mais la disproportion entre la grandeur de ma tâche et la petitesse de mes contemporains s'est traduite par le fait qu'on ne m'a ni entendu, ni aperçu. Je vis sur le crédit que je m'accorde moi-même, me croire en vie n'est peut-être qu'un simple préjugé?
Un philosophe, dans l'Antiquité, c'est quelqu'un qui vit en philosophe, qui mène une vie philosophique.
Le code de la séparation a sa méthode: nous unir en-tant-que-séparées. Simul & singulis: être ensemble et être soi. Rester soi en restant ensemble à distance/ne jamais réellement sortir d'un branchement circulaire à soi-même
Non seulement la foi et la conviction, mais encore l'examen, la négation, la méfiance, la contradiction devinrent un pouvoir, tous les "mauvais" instincts étaient sous-ordonnés à la Connaissance, placés à son service, on leur prêta l'éclat de ce qui est permis, vénéré et utile, et finalement le regard et l'innocence du bien. La Connaissance devint dès lors un morceau de la vie même et, en tant que vie, un pouvoir toujours grandissant.
L’écriture des hypomnemata s’oppose à cet éparpillement en fixant des éléments acquis et en constituant en quelque sorte "du passé", vers lequel il est toujours possible de faire retour et retraite
Michel Foucault|Dits et écrits
On ne sait pas si la Résonance se produira, et encore moins ce qui en sortira
Un pareil bonheur n'a put être inventé que par quelqu'un qui souffrait sans cesse, c'est le bonheur d'un œil qui a vu s'apaiser sous son regard la mer de l'existence
[Les stoïciens] savaient très bien qu'il y avait une opposition radicale entre la doctrine stoïcienne et la doctrine épicurienne, ainsi qu'entre l'attitude pratique stoïcienne et l'attitude pratique épicurienne. Mais ils savaient aussi qu'épicurisme, stoïcisme, platonisme, aristotélisme n'étaient que des formes différentes et opposées d'un même mode de vie, le mode de vie philosophique
Le présent patine, le futur advient mécaniquement car le passé est congédié
Jean-Luc Marion|La modernité sans avenir
Si vous voulez diminuer et amoindrir la souffrance des hommes, eh bien! il vous faudra diminuer et amoindrir aussi leur capacité de se réjouir.
À l'égard de toutes les valeurs esthétiques je me sers maintenant de cette distinction capitale : je me demande dans chaque cas : "Est-ce la faim ou bien l'abondance qui crée ici". [...] Le Désir de destruction, de changement, de devenir, peut être l'expression de la force surabondante (mon terminus est pour cela, comme l'on sait, le mot "dionysiaque"), mais ce peut aussi être la haine de l'être manqué, nécessiteux, qui détruit, qui est forcé de détruire, parce que l'état de chose existant, tout état de chose, tout être même, le révolte et l'irrite
De cette décomposition des grands récits [...] il s'ensuit ce que d'aucuns analysent comme la dissolution du lien social et le passage des collectivités sociales à l'état d'une masse composée d'atomes individuels lancés dans un absurde mouvement brownien.
Jean-François Lyotard|La condition postmoderne
La sévérité qu'il faut mettre au service de la science, cette rigueur dans les petites comme dans les grandes choses, cette rapidité dans l'enquête, le jugement et la condamnation a quelque chose qui inspire la crainte et le vertige.
Tant que l'auditeur n'a pas assimilé intérieurement telle ou telle doctrine, il est inutile ou impossible de lui parler d'autre chose [...] Il est souvent difficile de sauvegarder l'ordre logique, si l'on veut tenir compte de l'état spirituel de l'auditeur.
C’est pour ça qu’on écrit. Ce ne peut être que pour ça, et quand c’est pour autre chose c’est sans intérêt : pour aller des uns vers les autres. Pour en finir avec le morcellement du monde
Christian Bobin
Ne te dis rien de plus à toi-même que ce que te disent les représentations premières. On t'a dit: "Un tel a dit du mal de toi." Cela, elles te le font savoir. Mais : "On t'a fait du tort", elles ne te le font pas savoir.
Marc-Aurèle|Pensées pour moi-même
Lorsque nous rejetons ainsi l'interprétation chrétienne, condamnant le "sens" qu'elle donne comme faux-monnayage, nous sommes saisis immédiatement et avec une insistance terrible par la question schopenhauérienne : l'existence a-t-elle donc un sens ? - une question qui aura besoin de quelques siècles pour être comprise entièrement et dans toutes ses profondeurs.
If you evade suffering you also evade the chance of joy. Pleasure you may get, or pleasures, but you will not be fulfilled. You will not know what it is to come home.
[...] The search for pleasure is circular, repetitive, atemporal [...], always ends in the same place. It has an end. It comes to the end and has to start over. It is not a journey and return, but a closed cycle, a locked room, a cell.
Outside the locked room is the landscape of time, in which the spirit may, with luck and courage, construct the fragile, makeshift, improbable roads and cities of fidelity. [...] Loyalty, which asserts the continuity of past and future, binding time into a whole, is the root of human strength; there is no good to be done without it.
L'intellect de la plupart des gens est une machine pesante, obscure et gémissante qu'il est difficile de mettre en marche : quand ils veulent travailler et bien penser avec cette machine ils disent qu'ils "prennent la chose au sérieux" - oh! combien ce doit être pénible pour eux de "bien penser" ! La gracieuse bête humaine a l'air de perdre chaque fois sa bonne humeur quand elle se met à bien penser; elle devient "sérieuse" ! Et, "partout où il y a rires et joies, la pensée ne vaut rien" : c'est là le préjugé de cette bête sérieuse contre tout "gai savoir" Eh bien, montrons que c'est là un préjugé !
Et si le plaisir et le déplaisir étaient tellement solidaires l'un de l'autre que celui qui veut goûter de l'un autant qu'il est possible, doit goûter aussi de l'autre autant qu'il est possible - que celui qui veut "jubiler jusqu'au ciel" doit aussi se préparer à être "triste jusqu'à la mort"?
L'ère du storytelling, cette manière de raconter qui revient à "fabriquer des histoires" pour "formatter les esprits".
Johann Chapoutot|Le Grand Récit
Ceux qui veulent se sauver doivent vivre en se soignant sans cesse
Tous s'imaginent que le passé n'est rien, ou si peu de choses, et que l'avenir prochain est tout [...]. Chacun veut être le premier dans cet avenir, - et pourtant la mort et le silence de la mort sont les seules certitudes qu'ils aient tous en commun dans cet avenir!
We go ahead with pragmatic idealism, with magical realism and informed naivety. At the crossroad of fact and fiction, we work and play with religious fervor, keeping an ironic smile at our own self-importance
Que les lettres et leurs soeurs, la philosophie et l'Histoire, soient, plus qu'utiles, essentielles, finit toujours par résonner dans le cortex de quiconque souhaite appréhender la Complexité du monde ou démêler l'écheveau de sa propre vie, au moment où les questions fondamentales, mises sous le tapis de l'existence par toutes sortes de divertissements - au nombre desquels la "carrière", la "situation", le "travail" ... - surgissent avec leur propre force et temporalité.
Johann Chapoutot|Le Grand Récit
Les expositions universelles idéalisent la valeur d'échange des marchandises. Elles créent un cadre où la valeur d'usage passe au second plan. Elles donnent ainsi accès à une fantasmagorie où l'homme pénètre pour se laisser distraire.
Walter Benjamin|Paris capitale du XIXe siècle
Nos pensées sont les ombres de nos sentiments, - toujours plus obscures, plus vides, plus simples que ceux-ci
La tentative de piloter des processus d'interaction, en les liant à un résultat (par exemple dans la santé ou dans la formation, mais tout autant dans la recherche ou dans la politique) a dès lors, ici aussi, pour conséquence le mutisme qui affecte l'acte de résonance [...] La résonance exige le renoncement au contrôle du vis-à-vis et du processus de rencontre, mais aussi (la confiance dans) la faculté d'atteindre l'autre partie et d'établir un contact responsif
L'on pourrait se demander si vraiment, sans cette école et cette préparation religieuse, l'homme aurait appris à avoir faim et soif de son propre moi, à se rassasier et à se remplir de lui-même. Ne fallut-il pas que Promethée crût d'abord avoir volé la lumière et qu'il en pâtit - pour découvrir enfin qu'il avait créé la lumière, en désirant la lumière, et que non seulement l'homme, mais encore le dieu, avaient été l'œuvre de ses mains
L'apparence primitive finit par devenir presque toujours l'essence, et fait l'effet d'être l'essence. Il faudrait être fou pour s'imaginer qu'il suffit d'indiquer cette origine et cette enveloppe nébuleuse de l'illusion pour détruire ce monde [...]. Nous ne pouvons détruire qu'en créant! - mais n'oublions pas non plus ceci : il suffit de créer des noms nouveaux, des appréciations et des probabilités nouvelles pour créer à la longue des "choses" nouvelles.
Je redoute tant la parole des hommes.
Ils expriment tout de manière si claire :
et cela c’est un chien, et cela s’appelle une maison,
et voici le début, et la fin est là-bas.M’inquiète aussi leur esprit, leur jeu avec la raillerie,
ils savent tout ce qui sera et ce qui fut ;
ils ne s’émerveillent plus d’aucune montagne ;
leur jardin et leur terre confinent directement à Dieu.Je veux toujours mettre en garde et défendre : restez à distance.
J’écoute si volontiers les choses chanter.
Vous les touchez: elles sont immobiles et muettes.
Vous me tuez toutes les choses.Rainer Maria Rilke
Là où "tout est disponible", le monde n'a plus rien à nous dire; là où il est devenu indisponible d'une nouvelle manière, nous ne pouvons plus l'entendre parce qu'il n'est plus atteignable.
La frontière est l'autre nom de la peur. Sa matérialisation physique. Une frontière est faite de grillages barbelés à l'espoir d'une sécurité impossible. Un jour, on comprendra peut-être qu'il n'existe pas de formule sociopolitique pour être tranquille d'avance. Une société qui espère cette sérénité se suicide comme société libre
Souviens-toi d’ailleurs, en tout événement qui te porte au chagrin, d’user de ce principe : Ceci n’est pas un revers, mais c’est un Bonheur que de noblement le supporter.
Marc-Aurèle|Pensées pour moi-même
Vis chaque Instant comme si c'était le dernier.
Vis chaque Instant comme si c'était le premierAlain Damasio|La Horde du contrevent
Des natures comme celle de l'apôtre Paul ont le mauvais oeil pour les passions; ils n'apprennent à en connaître que ce qui est malpropre, que ce qui défigure et brise les coeurs, - leur aspiration idéale serait donc la destruction des passions : pour eux ce qui est divin en est complètement dépourvu. A l'inverse de Paul et des juifs, les Grecs ont porté leur aspiration idéale précisément sur les passions, ils les ont aimées élevées, dorées et divinisées.
Dieu est mort : mais ainsi sont fait les hommes qu'il y aura peut-être encore pendant des milliers d'années des cavernes où l'on montrera son ombre - et nous, il nous faut encore vaincre son ombre.
J'aimerais que le germe devint arbre. Pour qu'une doctrine devienne arbre, il faut que l'on ait foi en elle, il faut qu'elle soit considérée comme irréfutable. L'arbre à besoin de tempêtes, de doutes, de vers rongeurs, de méchanceté, pour lui permettre de manifester l'espèce et la force de son germe; qu'il se brise s'il n'est pas assez fort. Mais un germe n'est toujours que détruit - et jamais réfuté!
L'on reconnaîtra toujours la noblesse à ce qu'elle n'a pas peur d'elle-même, à l'incapacité de faire quelque chose de honteux, au besoin de s'élever dans les airs sans hésitation, de volée où nous sommes poussés, - nous autres oiseaux nés libres! Où que nous allions, tout devient libre et ensoleillé autour de nous.
L'"expérience" de tomber amoureux correspond ainsi presque sous une forme pure aux critères d'une phase de Résonance. [...] Elle ne cadre donc absolument pas avec une culture postmoderne qui vise à rendre la vie disponible.
Nous prêtons à confusion - le fait est que nous grandissons nous-mêmes, nous changeons sans cesse, nous rejetons notre vieille écorce, nous faisons encore peau neuve à chaque printemps, nous devenons toujours plus jeunes, plus à venir, plus hauts et plus forts, nous enfonçons nos racines avec toujours plus de force dans les profondeurs [...] tandis qu'en même temps nous embrassons le ciel avec plus d'amour, de nos bras toujours plus vastes, aspirant la lumière du ciel toujours plus avidement, avec toutes nos branches et toutes nos feuilles. Nous grandissons, comme les arbres - cela est difficile à comprendre, aussi difficile à comprendre que la vie! - nous grandissons, non dans une seule direction, mais autant par en haut que par en bas, à l'intérieur et à l'extérieur, - notre force pousse en même temps dans le tronc, les branches et les racines, nous ne sommes plus du tout libres de faire quelque chose séparément... Car tel est notre sort : nous grandissons en hauteur; en admettant que ce soit là notre destinée néfaste- car nous habitons toujours plus près de la foudre! - eh bien! nous n'en tenons pas moins en honneur cette destinée, elle demeure ce que nous ne saurions partager, communiquer, - la destinée des sommets, notre destinée...
Avoir l'esprit philosophique, c'est être capable de s'étonner des événements habituels et des choses de tous les jours, de se poser comme sujet d'étude ce qu'il y a de très général et de plus ordinaire
Deviens ce que tu es.
Les hupomnêmata pouvaient être des livres de compte, des registres publics, des carnets individuels servant d'aide-mémoire. [...] Ils constituaient une mémoire matérielle des choses lues, entendues ou pensées ; ils les offraient ainsi comme un trésor accumulé à la relecture et à la méditation ultérieures. Ils formaient aussi une matière première pour la rédaction de traités plus systématiques
Michel Foucault|Dits et écrits
L'idéal d'urbaniste de Haussmann, c'étaient les perspectives sur lesquelles s'ouvrent de longues enfilades de rues. Cet idéal correspond à la tendance courante au XIXe siècle à anoblir les nécessités techniques par de pseudo-fins artistiques. Les temples du pouvoir spirituel et séculier de la bourgeoisie devaient trouver leur apothéose dans le cadre des enfilades de rues.
Walter Benjamin|Paris capitale du XIXe siècle
L'idéal de vérité est frappé d'obsolescence au profit d'un autre idéal, celui de sincérité qui devient dès lors le seul fondement de légitimité du discours. Peu importe de dire le vrai [...], si l'on est sincère.
Johann Chapoutot|Le Grand Récit
Our sense of time involves our ability to separate cause and effect, means and end. [...] Seeing the difference between now and not now, we can make the connection. And there morality enters in. Responsibility. To say that a good end will follow from a bad means is just like saying that if I pull a rope on this pulley it will lift the weight on that one. To break a promise is to deny the reality of the past; therefore it is to deny the hope of a real future.
Il y a en général peu d'hommes qui aient foi en eux-même; - et parmi ce petit nombre, les uns portent cette foi en naissant, comme un aveuglement utile ou bien un obscurcissement partiel de leur esprit [...], les autres sont obligés de l'acquérir d'abord : tout ce qu'ils font de bien, de solide, de grand, commence par être un argument contre le sceptique qui gît en eux; c'est celui qu'ils veulent convaincre et persuader, et pour y parvenir il leur faut presque du génie. Ce sont les grands insatisfaits d'eux-mêmes.
Je prenais la connaissance tragique pour le véritable luxe de notre civilisation, j'y voyais le plus précieux, le plus noble, le plus dangereux des gaspillages, je pensais, compte tenu de son opulence, que ce luxe lui était permis. De même, j'interprétais la musique allemande comme l'expression d'une puissance dionysiaque de l'âme allemande : en elle je croyais surprendre le grondement souterrain d'une force primordiale, comprimée longtemps et qui enfin se fait jour.
Sera bon (ou libre, ou raisonnable, ou fort) celui qui s'efforce, autant qu'il est en lui, d'organiser les rencontres, de s'unir a ce qui convient avec sa nature, de composer son rapport avec des rapports combinables, et, par là, d'augmenter sa puissance. Car la bonté est affaire de dynamisme, de puissance, et de composition de puissances. Sera dit mauvais, ou esclave, ou faible, ou insensé, celui qui vit au hasard des rencontres, se contente d'en subir les effets quitte à gémir et à accuser chaque fois que l'effet subi se montre contraire et lui révèle sa propre impuissance. [...] Comment ne pas se détruire soi-même à force de culpabilité, et ne pas détruire les autres à force de ressentiment, propageant partout sa propre impuissance et son propre esclavage, sa propre maladie, ses propres indigestion, ses toxines et ses poisons?
Gilles Deleuze|Spinoza, philosophie pratique
Écrire postule une certaine foi en l'homme. Écrire signifie s'adresser à des hommes en tant qu'hommes, postuler une communauté humaine où la communication soit possible.
Johann Chapoutot|Le Grand Récit
Ce qui est fait reste a faire
On n'entend que les questions auxquelles on est capable de trouver une réponse
L'opposé du monde de la folie n'est ni la Vérité ni la certitude, mais l'universalité et l'obligation pour tous d'une même croyance, en un mot l'exclusion du bon plaisir dans le Jugement.
L'historien est bien avisé d'être un bon linguiste et fin littéraire, attentif aux bruissements de la langue et aux imaginaires que la sémantique évoque- au sens premier de susciter, de faire advenir par la voix (ex-vocare).
Johann Chapoutot|Le Grand Récit
Celui qui se sait profond s'efforce d'être clair; celui qui se voudrait sembler profond à la foule s'efforce d'être obscur. Car la foule tient pour profond tout ce dont elle ne peut pas voir le fond : elle est si craintive, elle a si peur de se noyer!
Sous l'empire des idées religieuses on s'est habitué à la représentation d'un "autre monde" [...] et la destruction des illusions religieuses vous laisse l'impression d'un vide angoissant et d'un manque. - Alors renaît, de ce sentiment, un "autre monde", mais loin d'être un monde religieux, ce n'est plus qu'un monde Métaphysique.
Nous somme toujours récompensés de notre bonne volonté, de notre patience, de notre équité, de notre douceur à l'égard des choses étrangères, lorsque pour nous elles écartent lentement leur voile et se présentent dans leur nouvelle et indicible beauté : c'est leur manière de nous remercier de notre hospitalité. Même l'amour de soi passe par là : il n'y a pas d'autre voie. L'amour aussi, il faut l'apprendre.
L'insensé
N'avez-vous pas entendu parler de cet homme insensé qui, ayant allumé une lanterne en plein midi, courait sur la place du marché et criait sans cesse : « Je cherche Dieu! Je cherche Dieu! » - Et comme là-bas se trouvaient précisément rassemblés beaucoup de ceux qui ne croyaient pas en Dieu, il suscita une grand hilarité. L'a-t-on perdu? dit l'un.
S'est-il égaré comme un enfant? dit un autre. Ou bien se cache-t-il quelque part ? A-t-il peur de nous? S'est-il embarqué? A-t-il émigré? – ainsi ils criaient et riaient tous à la fois. L'insensé se précipita au milieu d'eux et les perça de ses regards. « Où est Dieu? cria-t-il, je vais vous le dire! Nous l'avons tué – vous et moi! Nous tous sommes ses meurtriers! Mais comment avons-nous fait cela? Comment avons-nous pu vider la mer? Qui nous a donné l'éponge pour effacer l'horizon tout entier? Qu'avons-nous fait, de désenchaîner cette terre de son soleil? Vers où roule-t-elle à présent? Vers quoi nous porte son mouvement? Loin de tous les soleils? Ne sommes-nous pas précipités dans une chute continue? Et cela en arrière, de côté, en avant, vers tous les côtés? Est-il encore un haut et un bas? N'errons-nous pas comme à travers un néant infini?
Ne sentons-nous pas le souffle du vide? Ne fait-il pas plus froid? Ne fait-il pas nuit sans cesse et de plus en plus nuit? Ne faut-il pas allumer les lanternes dès le matin? N'entendons-nous rien encore du bruit des fossoyeurs qui ont enseveli Dieu? Ne sentons-nous rien encore de la putréfaction divine? – les dieux aussi se putréfient! Dieu est mort! Dieu reste mort! Et c'est nous qui l'avons tué! Comment nous consoler, nous, les meurtriers des meurtriers? Ce que le monde avait possédé jusqu'alors de plus sacré et de plus puissant a perdu son sang sous nos couteaux – qui essuira ce sang de nos mains? Quelle eau lustrale pourra jamais nous purifier? Quelles solennités expiatoires, quels jeux sacrés nous faudra-t-il inventer?
La grandeur de cette action n'est-elle pas trop grande pour nous? Ne nous faut-il pas devenir nous-mêmes des dieux pour paraîtres dignes de cette action? Il n'y eut jamais d'action plus grande – et quiconque naîtra après nous appartiendra, en Vertu de cette action même, à une Histoire supérieure à tout ce que fut jamais l'Histoire jusqu'alors! » - Ici l'homme insensé se tut et considéra à nouveau ses auditeurs : eux aussi se taisaient et le regardaient sans comprendre. Enfin il jeta sa lanterne au sol si bien qu'elle se brisa et s'éteignit. « J'arrive trop tôt, dit-il ensuite, mon temps n'est pas encore venu. Ce formidable événement est encore en marche et voyage – il n'est pas encore parvenu aux oreilles des hommes.
Il faut du temps à la foudre et au tonnerre, il faut du temps à la lumière des astres, il faut du temps aux actions après leur accomplissement, pour être vus et entendus. Cette action-là leur est encore plus lointaine que les astres les plus lointains – et pourtant ce sont eux qui l'on accomplie! » On raconte encore que ce même jour l'homme insensé serait entré dans différentes églises où il aurait entonné son Requiem aeternam Deo. Jeté dehors, et mis en demeure de s'expliquer, il n'aurait cessé de répartir : « à quoi bon ces églises, si elles ne sont les caveaux et les tombeaux de Dieu?
Tout art, toute philosophie peuvent être considérés comme des remèdes et des secours au service de la vie en croissance et en lutte : ils supposent toujours des souffrances et des souffrants. Mais il y a deux sortes de souffrants : il y a d'abord ceux qui souffrent de surabondance de vie, ceux qui veulent un art dionysiaque et aussi une vision tragique de la vie intérieure et extérieur - et il y a ensuite ceux qui souffrent d'un appauvrissement de la vie, qui demandent à l'art et à la Connaissance le calme, le silence, une mer lisse, ou bien encore l'ivresse, les convulsions, l'engourdissement, la folie. A cette dernière catégorie de besoin répond tout le romantisme en art et en philosophie, c'est à elle que répondent encore tant Schopenhauer que Wagner.
Il est besoin de la bêtise vertueuse, d'inébranlables batteurs de mesure à l'esprit lent, pour que les croyants de la grande croyance générale demeurent ensemble et continuent à exécuter leur danse : c'est une nécessité de premier ordre qui le commande et l'exige ici. Nous autres, nous sommes l'exception et le danger, - nous avons éternellement besoin de nous défendre! - Eh bien ! il y a vraiment quelque chose à dire en faveur de l'exception, à condition qu'elle ne veuille jamais devenir la règle.
La conscience est le dernier stade, le plus tardif, de ce qui est organique; c'est par conséquent aussi ce qu'il y a de moins achevé et de moins fort
Les ruines sont le miroir de l'homme dont elles figurent la créativité et la fragilité, la faiblesse de la puissance.
Stève-Wilifrid Mounguengui|L'énigme des ruines
Limitons-nous donc à l'épuration de nos opinions et de nos appréciations et à la création de nouvelles tables de valeurs qui nous soient propres [...] Oui, mes amis, il est temps de montrer son dégoût pour tout le bavardage moral des uns sur les autres. Rendre des sentences morales doit être contraire à notre goût.
Nul vainqueur ne croit au hasard.
Lorsqu'on écrit, on se figure souvent que résister revient à argumenter. Ca n'a jamais suffi. Résister n'est pas davantage émouvoir, alerter ou faire peur. Résister consiste à ressusciter le désir.
N’avons-nous pas de bonnes raisons de cacher complaisamment nos actes sous les idées du devoir, de la Vertu, de l’esprit critique, de l’honorabilité, du désintéressement? Je ne veux pas dire que la moralité permet de masquer la méchanceté et l’infamie humaine, c’est-à-dire la dangereuse bête sauvage qui est en nous; au contraire! C’est précisément en tant qu’animaux domestiques que nous sommes un spectacle honteux et que nous avons besoin d’un travestissement moral […]. Ce n’est pas la bête de proie qui éprouve le besoin d’un travestissement moral, mais la bête du troupeau, avec sa médiocrité profonde, la peur et l’ennui qu’elle se cause à elle-même.
-- M'a-t-on compris? Dionysos contre le Crucifié...
La frontière que ne peuvent franchir les choses, c'est la limite de [...] la "citadelle intérieure", ce réduit inviolable de liberté
Pour Sapiens, l'espace fertile n'est ni l'intérieur, ni l'exterieur: il est cette lisière tremblée où l'on s'élève en se confrontant à ce qui n'est pas nous et que j'aime à appeler: l'altérieur.
L'homme inventeur de signes est en même temps l'homme qui prend conscience de lui-même d'une façon toujours plus aiguë; ce n'est que comme animal social que l'homme apprend à devenir conscient de lui-même
Les sciences de l'esprit, l'histoire au premier chef, sont donc celles qui tentent d'approcher une réalité humaine en identifiant les fins et les valeurs qui orientent les actes, en comprenant leur sens.
Johann Chapoutot|Le Grand Récit
Les GAFAM [...] nous ont donné le moyen de devenir de parfaits in/dividus autosatisfaits, ou crus tels, se voulant tels - c'est-à-dire des êtres humains qui ne se divisent plus. Qui ne se partagent pas avec d'autres, n'offrent pas un seul morceau de ce qu'ils sont à des pairs qui en auraient besoin.
Nous avons tous en nous des plantations et des jardins inconnus; et, pour me servir d'une autre image, nous sommes tous des volcans en travail qui auront leur heure d'éruption : il est vrai que personne ne sait si ce moment est proche ou lointain, le bon Dieu lui-même l'ignore.
Faire naître dans l'inerte. Un intense Bonheur en découle, qui tient aussi à cette augmentation de nos capacités qu'autorise la machine qu'on domestique et qui va nous épauler, chercher à notre place et trouver grâce à nous.
[...]
Quelque chose qui relève du frisson de se prolonger, de faire fluer l'énergie au bout de ses doigts
On vit comme quelqu'un qui craindrait sans cesse de "laisser échapper" quelque chose. "Plutôt faire n'importe quoi que de ne rien faire" [...] La chasse au gain force l'esprit à s'épuiser dans une dissimulation sans trêve, dans une duperie permanente ou dans dans le souci de démasquer l'autre : la véritable Vertu consiste maintenant à doubler son voisin. [...] Oh ! Quelle suspicion grandissante sur toute joie ! Le travail a de plus en plus la bonne Conscience de son côté : le penchant à la joie s'appelle déjà "besoin de se reposer" et commence à avoir honte de soi-même. [...] Oui, on en viendra bientôt à ne plus céder à un penchant pour la vita contemplativa (c'est-à-dire à se promener avec des pensées et avec des amis) sans se mépriser ni avoir Mauvaise Conscience.
Celui qui se refuse une chose entièrement et pour longtemps croira presque l'avoir découverte lorsqu'il la rencontrera de nouveau par hasard, - et quel n'est pas le Bonheur de celui qui découvre!
Si les grands récits hégéliens ont peut-être provisoirement disparu, le besoin de sens est demeuré et, avec lui, celui des récits
Johann Chapoutot|Le Grand Récit
Le consentement au Destin, l'obéissance aux dieux, qui est l'essentiel de la discipline du désir, suppose donc une prise de conscience de la place de l'homme dans le Tout et donc une mise en pratique de la physique
[Pour les nazis] Récrire l'Histoire de l'antiquité, dans les manuels scolaires comme dans les films et dans l'architecture des villes, doit permettre de retrouver la race dans un bain de régénération bienvenu, après les mélanges et les étiolements de la modernité. Le recours à l'antiquité est constitutif d'une révolution culturelle, au sens premier, et étymologique, du terme : il s'agit de revenir à l'origine, à la tête blonde qui vivait selon son instinct et non selon les lois léguées par les (judéo-)chrétiens. Pas d'homme nouveau, chez les nazis : l'archétype c'est bel et bien l'archaïque.
Johann Chapoutot|Le Grand Récit
La dématérialisation constitutive des réseaux sociaux fait néanmoins office de solvant sur les solidarités de voisinage en diluant toute présence et tout vécu local commun au profit terminal d'une existence liquide qui va demeurer "remote" - terme puissant en anglais pour dire isolé, éloigné, reculé, à distance tout en conservant une connotation de... télécommande.
Même les pensées, on ne peut pas les rendre tout à fait par des mots.
Nous voulons être les poètes de notre vie, et cela avant tout dans les plus petites choses quotidiennes !
Un pareil Bonheur n'a put être inventé que par quelqu'un qui souffrait sans cesse, c'est le Bonheur d'un œil qui a vu s'apaiser sous son regard la mer de l'Existence.
C'est le fait d'un insensé d'accuser les autres de ses propres échecs ; celui qui est philosophe s'en accuse soi-même ; celui qui est sage n'en accuse ni autrui ni soi-même.
Épictète|Manuel
Vivre - cela signifie : repousser sans cesse quelque chose qui veut mourir. Vivre - cela signifie : être cruel et implacable contre tout ce qui, en nous, devient faible et vieux, et pas seulement en nous.
Nous vivons dans le capitalisme. Son pouvoir semble inéluctable, tout comme l’était le droit divin des rois.
L'obsession du déclin s'inscrit dans une conception anxieuse, voire angoissée du temps, conçu comme le lieu de la déperdition physique et de la perdition morale. A Athènes, les adversaires de la démocratie, comme Platon et Xénophon, ne cessent d'exalter la Patrion politeia, la cité des pères et des ancêtres, dont Sparte, la virile, leur semble offrir une vivante image à l'époque.
Johann Chapoutot|Le Grand Récit
C'est un penseur : ce qui veut dire qu'il s'entend à prendre les choses d'une façon plus simple qu'elles ne le sont.
Nul besoin de quoi que ce soit d'extraordinaire autour de nous, si à l'intérieur - c'est extraordinaire
Marina Tsvetaieva
Ce qui trouble les hommes, ce ne sont pas les choses, mais leurs jugements sur les choses
Épictète|Manuel
Seul l'homme meurt, il meurt continuellement, aussi longtemps qu'il séjourne sur terre
La fermeté de ton Jugement moral pourrait encore être une preuve d'une pauvreté personnelle, d'un manque d'individualité, ta "force morale" pourrait avoir sa source dans ton entêtement - ou dans ton incapacité de percevoir un idéal nouveau ! En un mot : si tu avais pensé d'une façon plus subtile, mieux observé et appris d'avantage, jamais tu n'appellerais plus "devoir" et "Conscience" ce devoir et cette Conscience que tu crois être personnels.
Je veux créer pour moi mon propre soleil
La résolution chrétienne de trouver le monde laid et mauvais a rendu le monde laid et mauvais
L'expérience de la résonance implique quelque chose comme l'expérience d'une (contre-)force autonome qui s'oppose à toute disponibilité
Quelles sont en dernière analyse les vérités de l'homme? - Ce sont ses erreurs irréfutables.
Tous nos actes sont au fond incomparablement personnels, uniques, immensément personnels, il n'y a à cela aucun doute; mais dès que nous les transcrivons dans la conscience, ils ne le paraissent plus...
Celui qui est sans argent manque de tout. Celui qui est sans lecture manque du manque. [...] Où sont les pauvres, où sont les riches. Ceux qui ne lisent jamais forment un peuple taciturne. Les objets leur tiennent lieu de mots.
Christian Bobin
De même, dit Chrysippe, qu'en poussant le cylindre, on lui a fait commencer son mouvement, mais on ne lui a pas donné la propriété de rouler, de même la représentation imprimera, certes, et marquera sa forme dans l'âme, mais notre assentiment sera en notre pouvoir ; poussé de l'extérieur, comme le cylindre, il se mouvra par sa force propre et par sa nature
Marc-Aurèle|Pensées pour moi-même
Les grands problèmes exigent tous le grand amour, et seuls les esprits vigoureux, nets et sûrs en sont capables, les esprits à base solide, car ils se reposent sur eux-mêmes.
Ces trois disciplines de vie sont véritablement la clé des Pensées de Marc-Aurèle. C'est en effet autour de chacune d'elles que s'organisent, que se cristallisent les différents dogmes dont nous avons parlé. À la discipline du jugement se rattachent les dogmes qui affirment la liberté de juger, la possibilité qu'a l'homme de critiquer et de modifier sa propre pensée ; autour de la discipline qui dirige notre attitude à l'égard des événements extérieurs se regroupent tous les théorèmes sur la causalité de la Nature universelle ; enfin, la discipline de l'action se nourrit de toutes les propositions théoriques relatives à l'attraction mutuelle qui unit les êtres raisonnables.
Le principe de tout stoïcisme en effet, c'est précisément l'indifférence aux choses indifférentes : cela signifie, premièrement, que la seule valeur est le bien moral, qui dépend de notre liberté, et que tout ce qui ne dépend pas de notre liberté (la pauvreté, la richesse, la santé, la maladie) n'est ni bon ni mauvais, et donc indifférent ; en second lieu, que nous ne devons pas faire de différence entre les choses indifférentes, c'est-à-dire que nous devons les aimer également parce qu'elles sont voulues par la Nature universelle.
Ne soyez rien, devenez sans cesse
Alain Damasio|La zone du dehors
Que fait celui qui renonce? Il aspire à un monde supérieur [...] - il se déleste de beaucoup de choses qui alourdiraient son vol et, parmi ces choses il y en a qui ont de la Valeur et qu'il aime : il les sacrifie à son Désir des hauteurs
Conquérir le droit de créer des valeurs nouvelles – c’est la plus terrible conquête pour un esprit patient et respectueux. En vérité, c’est la un acte féroce, pour lui, et le fait d’une bête de proie.
Nietzsche|Ainsi parlait Zarathoustra
Que chaque individu puisse édifier son propre idéal pour en déduire sa loi, ses plaisirs et ses droits, c'est ce qui fut considéré, je crois, jusqu'à présent comme la plus monstrueuse de toutes les aberrations humaines, comme l'idolâtrie par excellence; [...] Ce fut dans un art merveilleux, dans la force de créer des dieux - le polythéisme - que cet instinct put se décharger, se purifier, se perfectionner, s'anoblir
La méthode d'enseignement doit être intégrale à chacun de ses moments, puisqu'il ne s'agit pas d'acquérir trois savoirs théoriques séparés les uns des autres, mais de s'exercer à l'acte unique de la sagesse qui est indissolublement pratique de la physique, de l'éthique et de la logique.
Ces textes avaient pour rôle d'être des opérateurs qui permettaient aux individus de s'interroger sur leur propre conduite, de veiller sur elle, de la former et de se façonner soi-même comme sujet d'éthique.
Michel Foucault|L'usage des plaisirs
Le penseur n'a pas besoin d'applaudissements, pourvu qu'il soit certain des siens propres : car de ceux-là il ne peut se passer. Peut-on se dispenser de tout applaudissement? J'en doute fort
Les hommes de bien de toutes les époques ont été ceux qui ont approfondi les vieilles idées pour leur faire porter des fruits, les cultivateurs de l'esprit. Mais toute terre finit par être épuisée et il faut que toujours revienne le soc de la charrue du mal.
L'intellect de la plupart des gens est une machine pesante, obscure et gémissante qu'il est difficile de mettre en marche : quand ils veulent travailler et bien penser avec cette machine ils disent qu'ils "prennent la chose au sérieux" - oh! combien ce doit être pénible pour eux de "bien penser" ! La gracieuse bête humaine a l'air de perdre chaque fois sa bonne humeur quand elle se met à bien penser; elle devient "sérieuse" ! Et, "partout où il y a rires et joies, la pensée ne vaut rien" : c'est là le préjugé de cette bête sérieuse contre tout "gai savoir" Eh bien, montrons que c'est là un préjugé !
Ah ! ces Grecs, ils s’entendaient à vivre : pour cela il importe de rester bravement à la surface, de s’en tenir à l’épiderme, d’adorer l’apparence, de croire à la forme, aux sons, aux paroles, à tout l’Olympe de l’apparence ! Ces Grecs étaient superficiels — par profondeur !
Peut-être y a-t-il encore un avenir pour le rire! On le verra bien lorsque l'humanité se sera incorporé la maxime "l'espèce est tout, l'individu n'est rien" et que chacun disposera, à chaque moment d'un accès à cette délivrance ultime, à cette ultime irresponsabilité. Peut être alors que le rire se sera-t-il allié à la sagesse, peut-être ne restera-t-il plus que le "gai savoir"
L'utopie est ce qui manque au monde, le seul réalisme capable de dénouer le nœud des impossibles.
Edouard Glissant|L'intraitable beauté du monde
Il n'y a de bien pour l'homme que ce qui le rend juste, tempérent, courageux et libre, et il n'y a de mal pour l'homme que ce qui provoque en lui les vices opposés.
La méditation a perdu toute la dignité de sa forme; on a tourné en ridicule le cérémonial et l'attitude solennelle de celui qui réfléchit et l'on ne tolérerait plus un homme sage du vieux style. Nous pensons vite, nous pensons en chemin, tout en marchant, au milieu des affaires de toute espèce, même lorsqu'il s'agit de penser aux choses plus sérieuses; il ne nous faut que peu de préparation, et même peu de silence : - c'est comme si notre tête contenait une machine en mouvement incessant, qui continue de travailler même dans les conditions les plus impropres à la pensée. Autrefois, quand quelqu'un allait penser - c'était là une chose exceptionnelle ! - on le voyait devenir plus calme et préparer son idée : il contractait le visage comme pour une prière et il s'arrêtait de marcher; certains pouvaient même se tenir immobiles pendant des heures - sur une ou sur deux jambes - dans la rue, lorsque la pensée "venait". Voilà qui s'appelait "penser"!
La philosophie mise en livres a cessé d'interpeller les hommes. Ce qu'il y a d'insolite et presque d'insupportable en elle s'est caché dans la vie décente des grands systèmes. Pour retrouver la fonction entière du philosophe, il faut se rappeler que même les philosophes-auteurs que nous lisons et que nous sommes n'ont jamais cessé de reconnaître pour patron un homme qui n'écrivait pas, qui n'enseignait pas, du moins dans des chaires d'État, qui s'adressait à ceux qu'il rencontrait dans la rue et qui a eu des difficultés avec l'opinion et avec les pouvoirs, il faut se rappeler Socrate.
Merleau-Ponty|Éloge de la philosophie et autres essais
La phénoménologie de l'Esprit est l'Histoire même, c'est-à-dire l'intelligence humaine en devenir, ainsi que le récit philosophique qui permet d'élucider ce devenir. L'esprit a pour activité de s'objectiver : en s'exprimant par le travail et la création d'artefacts, il est la matrice intellectuelle du réel matériel. [...] En s'objectivant, l'esprit devient phénomène, soit ce qui apparaît.
Johann Chapoutot|Le Grand Récit
Afropea
J'habite un terroir intérieur un espace sans limites trois langues l'écho de quatre cultures J'habite des ancêtres multiples une parole propre Centrale parce que périphérique porte mes cicatrices avec élégance ne revendique pas affirme dis tranquillement Je suis Ne cherche pas ma place la crée la tienne aussi Je suis N'éprouve ni haine ni crainte Je suis ni haine ni crainte J'écris les pages de mon histoire la tienne Mets du piment dans ma blanquette aime mon rôti avec de l'igname mon tartare avec des plantains frits Connais le passé sans y séjourner sans le sacraliser Apprends du passé pour tracer ma voie Je suis une voie J'habite un terroir intérieur Je suis une position pas une posture Une vibration un souffle une émotion un appel une conjonction une intense intention L'heureux événement Je suis une donnée complexe flexible une attitude symbolique politique une contrée concrète immatérielle fructueuse une terre sans bornes Fertile Mes frontières assemblent ne séparent pas assemblent ne tranchent pas assemblent ne découpent pas assemblent ne mutilent pas Je marche devant le jour qui vient Je suis la beauté qui se fait Je suis un inachèvement Je suis un apaisement
Léonora Miano|Écrits pour la parole
You cannot buy the revolution. You cannot make the revolution. You can only be the revolution. It is in your spirit, or it is nowhere.
Le but des propos d'Épictète, c'est donc de modifier le discours intérieur de ses auditeurs. A cette thérapeutique de la parole qui s'exerce sous des formes diverses, grâce à des formules frappantes et émouvantes, à l'aide de raisonnements logiques et techniques, mais aussi d'images séduisantes et persuasives, répondra donc une thérapeutique de l'écriture pour soi, qui consistera pour Marc-Aurèle, en s'adressant à lui-même, à reprendre les dogmes et les règles d'action, tels qu'ils ont été énoncés par Épictète, pour les assimiler, pour qu'ils deviennent les principes de son discours intérieur.
Non qu'il s'agisse de maîtriser l'outil [...] : il s'agit, dans la relation indiscutable qui se développe au quotidien entre nous et nos technologies amies, de faire en sorte que cette relation préserve notre liberté et respecte nos rythmes organiques
La loi, c'est toujours l'instance transcendante qui détermine l'opposition des valeurs bien-mal, mais la connaissance, c'est toujours la puissance immanente qui détermine la différence qualitative des modes d'existence bon-mauvais.
Gilles Deleuze|Spinoza, philosophie pratique
La liberté n'est pas un donné, mais quelque chose qui est à prendre et qui est à faire. Du même coup, ce travail qui consiste à prendre des libertés pour apprendre les déterminismes fait partie, me semble-t-il, des moyens d'acquérir une véritable liberté à l'égard de ces déterminismes
Ce que l'on appelle vie, au sens usuel du terme, est pure mécanicité, sans conscience. L'expérience de l'absurde marque l'accès à un niveau de conscience qui était exclu dans la simple concaténation mécanique des gestes, des travaux et des jours
Johann Chapoutot|Le Grand Récit
It's always easier not to think for oneself. Find a nice safe hierarchy and settle in. Don't make changes, don't risk disapproval [...]. It's always easiest to let yourself be governed.
Le stoïcien délimite donc un centre d'autonomie: l'âme, par opposition au corps, le principe directeur (Hégemonikon) par opposition au reste de l'âme, et c'est dans ce principe directeur que se situent la liberté et le vrai moi.
Dans ces civilisations enchevêtrées et mécanisées à outrance nous avons, me semble-t-il, tenté d’élaguer la créature pour la ramener au rang d’un engin de production. Après tout l’homme n’est pas simplement un membre d’une Société ou d’un Groupe, une pitoyable énigme que la science doit expliquer. Il est un peu plus que cela, quelque chose de résolument indéfinissable et imprévisible. En négligeant, en niant ou en fuyant sa compléxité (qui n’est rien d’autre que l’inquiétante Complexité de notre moi) nous sommes diminués et nous nous détruisons. C’est seulement au sein de ce tissu d’ambiguïtés, de paradoxes, dans cette faim, ce danger, ces ténèbres, que nous pouvons trouver à la fois notre moi et la force qui nous permettra de lui échapper. C’est ce pouvoir de révélation qui est l’affaire du romancier, ce voyage vers une plus vaste réalité qui doit prendre le pas sur toutes les autres exigences.
James Baldwin
Ce qui nous trouble, ce ne sont pas les choses, mais nos jugements sur les choses
Épictète|Manuel
Tout ce qui va s'effondrer, maintenant que cette foi a été enterrée, tout ce qui était construit dessus, tout ce qui s'y appuyait et tout ce qui y croissait : par exemple toute notre morale européenne. Une série sans fin de démolitions, de destructions, de ruines et de chutes nous attend.
Et si un jour, ou une nuit, un démon te suivait dans ta suprême solitude et te disait : "Cette vie, telle que tu la vis actuellement, telle que tu l'as vécue, il te faudra la revivre encore une fois, et d'innombrables fois; et il n'y aura en elle rien de nouveau, au contraire! la moindre douleur et la moindre joie, la moindre pensée et le moindre soupir, ce qu'il y a d'infiniment grand et d'infiniment petit dans ta vie reviendra et tout reviendra dans le même ordre - cette araignée aussi et ce clair de lune entre les arbres, et aussi cet Instant et moi-même. L'éternel sablier de l'Existence se retournera sans cesse - et toi avec lui, poussière des poussières!" - Ne te jetterais-tu pas contre terre en grinçant des dents et ne maudirais-tu pas le démon qui parlerait ainsi? Ou bien as-tu déjà vécu un Instant assez prodigieux pour lui répondre : "Tu es un dieu, et jamais je n'ai entendu chose plus divine!" Si cette pensée s'emparait de toi, tel que tu es, elle te transformerait peut-être, mais peut-être t'anéantirait-elle; la question a "veux-tu cela encore une fois et un nombre incalculable de fois?", cette question pèserait sur toutes tes actions du poids le plus lourd ! Et alors, combien il te faudrait aimer la vie et t'aimer toi-même pour ne plus désirer autre chose que cette suprême et éternelle confirmation, cet éternel et suprême sceau!
Mon corps tout entier, que demande-t-il de la musique? Je crois qu'il demande un allégement : comme si toutes les fonctions animales devaient être accélérées par des rythmes légers, hardis, effréné et sûrs d'eux; comme si la vie d'airain et de plomb devait être transmuée dans l'or de mélodies délicates et douces.
J’allai à un des hommes qui passaient pour savants, certain que je pourrais là, ou nulle part, contrôler l’oracle et ensuite lui dire nettement : « Voilà quelqu’un qui est plus savant que moi, et toi, tu m’as proclamé plus savant. » J’examinai donc à fond mon homme ; — inutile de le nommer ; c’était un de nos hommes d’État ; — or, à l’épreuve, en causant avec lui, voici l’impression que j’ai eue, Athéniens. Il me parut que ce personnage semblait savant à beaucoup de gens et surtout à lui-même, mais qu’il ne l’était aucunement. Et alors, j’essayais de lui démontrer qu’en se croyant savant il ne l’était pas. Le résultat fut que je m’attirai son inimitié, et aussi celle de plusieurs des assistants. Je me retirai, en me disant : « À tout prendre, je suis plus savant que lui. » En effet, il se peut que ni l’un ni l’autre de nous ne sache rien de bon ; seulement, lui croit qu’il sait, bien qu’il ne sache pas ; tandis que moi, si je ne sais rien, je ne crois pas non plus rien savoir. Il me semble, en somme, que je suis tant soit peu plus savant que lui, en ceci du moins que je ne crois pas savoir ce que je ne sais pas.
Platon|Apologie de Socrate
À maints égards, la limite de la disponibilité n'est plus déterminée par la capacité de résistance du monde, mais par les limites de notre attention et de notre bourse: ce n'est pas le monde qui se dérobe ou qui se referme, mais nous-mêmes qui faisons obstacle à l'extension de notre accès au monde.
Il n'est donc pas surprenant que notre propre personne soit devenue peut-être le plus important point d'agression dans le rapport moderne avec le monde.
Les hommes supérieurs se distinguent des inférieurs par le fait qu'ils voient et entendent infiniment plus, et ils ne voient et n'entendent qu'en méditant - et cela précisément distingue l'homme de l'animal et l'animal supérieur de l'inférieur. Le monde s'emplit toujours davantage pour celui qui s'élève dans les hauteurs de l'humanité, de plus en plus d'hameçons lui sont lancés, l'intérêt grandit autour de lui, et dans la même proportion ses catégories de plaisir et de déplaisir, - l'homme supérieur devient toujours en même temps plus heureux et plus malheureux. Mais en même temps une illusion l'accompagne sans cesse : il croit être placé en spectateur et en auditeur devant le grand spectacle et devant le grand concert qu'est la vie : il dit que sa nature est contemplative et ne s'aperçoit pas qu'il est lui-même le véritable poète et le créateur de la vie, - que s'il se distingue de l'acteur de ce drame, le soi-disant homme d'action, il se distingue bien davantage encore d'un simple spectateur, d'un invité placé devant la scène. Il a certainement en propre, étant poète, la vis contemplativa [force de contemplation] et le retour sur son oeuvre, mais en même temps et avant tout, la vis creativa [force de creation] qui manque à l'homme qui agit, quoi qu'en disent l'évidence et la croyance reçue. Nous qui méditons et sentons, c'est nous qui faisons pour de bon et sans cesse quelque chose qui n'existe pas encore : à savoir ce monde toujours grandissant d'appréciations, de couleurs, d'évaluations, de perspectives, de degrés, d'affirmations et de négations. C'est ce poème de notre invention que ceux que l'on appelle les hommes pratiques (nos acteurs) ont appris, exercé, répété, traduit en chair et en réalité, oui, même en vie quotidienne. Tout ce qui a quelque Valeur dans le monde actuel n'en a pas par soi-même, selon sa nature - la nature est toujours sans Valeur : - il a fallu lui donner une Valeur, la lui attribuer, et c'est nous qui l'avons fait ! Nous seuls avons créé le monde qui intéresse l'homme ! - Or, nous ne le savons pas, et s'il nous arrive un Instant d'en prendre Conscience, nous l'oublions aussitôt l'Instant d'après: nous méconnaissons notre meilleure force et nous nous sous-estimons quelque peu, nous autres contemplatifs - nous ne sommes donc ni aussi fiers, ni aussi heureux que nous pourrions l'être.
Parce que les hommes croyaient déjà posséder le conscient. Ils se sont donné peu de peine pour l'acquérir
L'Histoire n'est donc pas une réalité brute, mais aussi, voir surtout, le récit que l'on en fait, à l'échelle individuelle comme à l'échelle des groupes et des sociétés, pour donner sens au temps, au temps vécu, au temps qui passe.
Johann Chapoutot|Le Grand Récit
La barricade est ressuscitée par la Commune. Elle est plus forte et mieux conçue que jamais. Elle barre les grands boulevards, s'élève souvent à hauteur du premier étage et recèle des tranchées qu'elle abrite. De même que le manifeste communiste clôt l'ère des conspirateurs professionnels, de même la Commune met un terme à la fantasmagorie qui domine les premières aspirations du prolétariat. Grâce à elle l'illusion que la tâche de la révolution prolétarienne serait d'achever l'oeuvre de 1780 en étroite collaboration avec la bourgeoisie se dissipe. [...] La bourgeoisie n'a jamais partagé cette erreur.
Walter Benjamin|Paris capitale du XIXe siècle
C'est seulement en présence de nous-même que nous pouvons réfléchir à ce qui nous est le plus intime. La présence d'un autre, auquel on parle, auquel on dicte, au lieur de se parler à soi-même, rend le discours intérieur en quelque sorte banal et impersonnel.
Nous découvrons constamment de nouvelles faces de nous même, nous y répondons et, dans la mesure où nous approfondissons notre connaissance de nous-mêmes, où nous apprenons à comprendre nos propres manières de réagir, notre expertise progresse peut-être mais nous n'en avons jamais fini avec nous-mêmes
Les saint-simoniens ont prévu le développement de l'industrie mondiale; ils n'ont pas prévu la lutte des classes.
Walter Benjamin|Paris capitale du XIXe siècle
On vit comme quelqu'un qui craindrait sans cesse de "laisser échapper" quelque chose. "Plutôt faire n'importe quoi que de ne rien faire" [...] La chasse au gain force l'esprit à s'épuiser dans une dissimulation sans trêve, dans une duperie permanente ou dans dans le souci de démasquer l'autre : la véritable Vertu consiste maintenant à doubler son voisin. [...] Oh ! Quelle suspicion grandissante sur toute joie ! Le travail a de plus en plus la bonne Conscience de son côté : le penchant à la joie s'appelle déjà "besoin de se reposer" et commence à avoir honte de soi-même. [...] Oui, on en viendra bientôt à ne plus céder à un penchant pour la vita contemplativa (c'est-à-dire à se promener avec des pensées et avec des amis) sans se mépriser ni avoir Mauvaise Conscience.
La naissance de la philosophie pessimiste n'est absolument pas l'indice de grandes et terribles misères; mais ces mises en question de la valeur de la vie en général se produisent en des temps où l'affinement et l'allègement de l'existence trouvent déjà trop sanglantes et trop malignes les inévitables piqûres de mouche de l'âme et du corps, et voudraient faire apparaître, dans la pénurie de véritables expérience douloureuses, des représentations communes douloureuses comme une souffrance d'espèce supérieure
L'éducation ne se produit pas là où une compétence déterminée est acquise, mais à chaque fois qu'un fragment du monde pertinent sur le plan social "se met à parler", c'est-à-dire lorsqu'un enfant ou un adolescent note tout à coup: tiens, l'Histoire, ou la politique ou la musique, etc me dise quelque chose - ils me concernent, et je peux m'engager en eux de manière auto-efficace
Seule la force n'est pas sur la défensive
Marina Tsvetaieva
Être en vie c'est être en mouvement et c'est être lié - tissé au ventre et lié aux autres. [...] Il te faudra inventer le sens de ta vie sans nous. Une terre sous tes pas.
Alain Damasio|La Horde du contrevent
Nous nous figurons qu'Intelligere est quelque chose de conciliant, de juste, de bien, quelque chose d'essentiellement opposé aux instincts; tandis que ce n'est en réalité qu'un certain rapport des instincts entre eux.
Ce que nous savons de nous-mêmes et ce que nous avons gardé dans la mémoire, pour le Bonheur de notre vie, n'est pas si décisif qu'on le croit. Il arrive un jour que ce que les autres savent sur nous (ou croient savoir) se jette sur nous - et dès lors nous reconnaissons que c'est là ce qu'il y a de plus puissant. On s'en tire mieux avec sa Mauvaise Conscience qu'avec sa mauvaise réputation.
Un récit, ou une "Histoire" c'est le langage qui se saisit du "réel" et qui l'informe, lui donne forme, à tel point que l'on puisse douter que le réel existe en dehors de lui
Johann Chapoutot|Le Grand Récit
Le monde de la Révolution et du Parti étant absolument séparés et régis par une normativité différente, et la mission révolutionnaire étant devenu le sens de toute une vie, tout était possible, et souhaitable, pour y demeurer et en rester digne
Johann Chapoutot|Le Grand Récit
Les représentations sont donc ces constructions par lesquelles nous faisons monde, à travers lesquelles nous le rendons présent à nous
Johann Chapoutot|Le Grand Récit
La modernité tend à rendre disponible autant de "monde" que possible pour augmenter la possibilité et la probabilité que surviennent les expériences de résonance épanouissantes auxquelles on aspire
La connaissance, devenue information, aura une simple valeur d'échange, et non une valeur intrinsèque : le savoir cesse d'être à lui-même sa propre fin, il perd sa valeur d'usage.
Johann Chapoutot|Le Grand Récit
Pythagore et Platon, peut-être aussi Empédocle, et bien antérieurement les enthousiastes orphiques cherchèrent à fonder de nouvelles religions; [...] or, ils n'aboutirent qu'à des sectes. Chaque fois que la réforme de tout un peuple ne réussit pas et que ce sont seulement des sectes qui lèvent la tête, on peut conclure que le peuple a déjà des tendances très multiples et qu'il commence à se détacher des grossiers instincts de troupeau et de la moralité des moeurs : un grave état de suspens que l'on a l'habitude de décrier sous le nom de décadence des moeurs et de corruption, tandis qu'il annonce au contraire que l'oeuf va éclore et la coquille se briser.
L'action de la providence divine permet donc de donner sens à toute réalité historique : elle fait office, dans le récit historique, de principe unificateur de la diversité sinon désespérante du réel et de clef herméneutique universelle. La diversité historique ne prend sens et ne devient intelligible que référé à ce principe.
Johann Chapoutot|Le Grand Récit
Que l'être humain, cette singulière manière d'être au monde, soit langage, mot et sens n'est pas une découverte bien inédite : quelques millénaires de littérature sont là pour nous le montrer, ainsi que ces disciplines qui, de la psychanalyse à la psychologie clinique, ont affaire avec la poésie de l'inconscient, avec cette poiesis qui travaille en nous pour créer du sens et une forme d'équilibre entre le désir, la peur et la paix.
Johann Chapoutot|Le Grand Récit
Une vie sans examen ne mérite pas d’être vécue
Platon|Apologie de Socrate
Nous autres, nous voulons devenir ceux que nous sommes, - les nouveaux, les uniques, les incomparables, ceux qui se donnent leurs propres lois, ceux qui se créent eux-mêmes!
L'homme noble, généreux, celui qui se sacrifie, succombe en effet à ses instincts, et, dans ses meilleurs moments, sa raison fait une pause
L'épicurien se choisit les situations, les personnes et même les événements qui cadrent avec sa constitution intellectuelle extrêmement irritable, il renonce à tout le reste - c'est-à-dire à la plupart des choses - puisque ce serait là pour lui une nourriture trop forte et trop lourde. Le stoïcien, au contraire, s'exerce à avaler des cailloux et des vers, des tessons et des scorpions, et cela sans en avoir le dégoût; son estomac doit finir par être indifférent à tout ce qu'offre le hasard de l'existence
La ligne de fuite est une déterritorialisation. [...] Fuir, ce n'est pas du tout renoncer aux actions, rien de plus actif qu'une fuite
Gilles Deleuze|Dialogues
La Vérité de ce monde qui vient est qu'il ne veut plus, physiquement, qu'on bouge.
[...]
Par contre doit se conserver l'impression de bouger, sans cesse[...]. Ce n'est même pas l'esprit qui bouge et doit bouger.
Avec Socrate la philosophie est descendue du ciel sur la terre. Elle s'introduit dans les maisons et sur le marché
Cicéron
Notre "propre chemin" est précisément quelque chose de trop dur et de trop exigeant; quelque chose qui est trop loin de l'amour et de la reconnaissance des autres - ce n'est pas sans plaisir que nous lui échappons, à lui et à notre conscience la plus individuelle, pour nous réfugier dans la Conscience des autres et dans le temple charmant de la "religion de la pitié".
Tous les gens n'ont de charme que par leur folie
Tout ce qui est facile à enseigner est inexact
Gaston Bachelard|La Philosophie du non
Il n'y a pas de Concept philosophique qui ne renvoie à des déterminations non philosophiques
En soit tout circonspection à conclure, tout penchant sceptique est déjà un grand danger pour la vie. Aucun être vivant ne se serait conservé si le penchant contraire d'affirmer plutôt que de suspendre son Jugement, de se tromper et de broder plutôt que d'attendre, d'approuver plutôt que de nier, de juger plutôt que d'être juste, n'avait été développé d'une façon extrêmement intense.
Ces professeurs de morale qui recommandent à l'homme d'abord et avant tout de se faire Violence, le gratifient ainsi d'une maladie singulière : je veux dire d'une irritabilité constante devant toutes les impulsions et les penchants naturels et, en quelque sorte, d'une espèce de démangeaison. Quoi qu'il leur advienne du dehors ou du dedans, une pensée, une attraction, une incitation - toujours cet homme irritable s'imagine que maintenant son empire sur soi-même pourrait être en danger: sans pouvoir se confier à aucun Instinct, à aucun coup d'aile libre, il est sans cesse sur la défensive, armé contre lui-même, l'oeil perçant et méfiant, lui qui s'est institué l'éternel gardien de son donjon. Certes, il peut ainsi être grand ! Mais combien il est devenu insupportable aux autres, difficile à porter pour lui-même, comme il s'est appauvri et isolé des plus beaux hasards de l'âme ! et aussi de toutes les leçons futures ! Car il faut savoir se perdre pour un temps si l'on veut apprendre quelque chose des êtres que nous ne sommes pas nous-mêmes.
C’est la modestie qui s’inventa en Grèce le mot "philosophe" et qui laissa aux comédiens de l’esprit le superbe orgueil de s’appeler sages, - la modestie de monstres de fierté et d’indépendance comme Pythagore et Platon.
A l'occasion, il nous conduit la main, ce cher hasard, et la providence la plus sage ne saurait imaginer de musique plus belle que celle qui réussit alors sous notre folle main.
Gardons nous de dire que la mort est opposée à la vie. La vie n'est qu'une variété de la mort et une variété très rare.
Nous aussi, nous devons croître et nous épanouir librement et sans crainte, dans un innocent amour de nous mêmes, par notre propre personnalité
La philosophie se divise en deux parties : la Science et l'attitude spirituelle convenable. Car celui qui possède seulement la Science et comprend comment il faut agir, n'est pas encore le sage, vu que son âme ne s'est pas encore transformée en ce qu'il avait appris.
Sénèque|Lettres à Lucilius
Par la morale, l'individu est instruit à être fonction du troupeau et à ne s'attribuer de la valeur qu'en tant que fonction.