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Le Grand Récit

L'Histoire n'est donc pas une réalité brute, mais aussi, voir surtout, le récit que l'on en fait, à l'échelle individuelle comme à l'échelle des groupes et des sociétés, pour donner sens au temps, au temps vécu, au temps qui passe.

Johann Chapoutot|Le Grand Récit

Le 19eme siècle est celui de la mort de dieu et du providentialisme.

Lui suit un 20eme siècle qui termine de mettre à mal ce que le siècle précédent à laissé de sens: les romans nationaux laissent place à la Première Guerre Mondiale, qui a aussi corrompue la science jusque là glorieuse et mis à jour l'absurdité de la mort de masse.

C'est alors à l'histoire de redonner un sens à la vie.
Les révolutions, les brigades internationales durant la guerre d'Espagne, illustrent l'existentialisme : dans l'absence de sens a priori, l'homme est libre de choisir son propre sens, ici celui de la défense de l'humanité.

Marxisme, Nazisme et Fascisme apparaissent comme autant de tentatives infructueuses de créer un nouveau grand récit.
Mais à ces tentatives succèdent la sidération, l'impossibilité de faire à nouveau sens.

Écrire postule une certaine foi en l'homme. Écrire signifie s'adresser à des hommes en tant qu'hommes, postuler une communauté humaine où la communication soit possible.

Johann Chapoutot|Le Grand Récit

Ainsi, le littéraire s'éloigne pour laisser place au scientifique : sciences sociales, structuralisme, et formalisation omniprésente du monde.

Que les lettres et leurs soeurs, la philosophie et l'Histoire, soient, plus qu'utiles, essentielles, finit toujours par résonner dans le cortex de quiconque souhaite appréhender la Complexité du monde ou démêler l'écheveau de sa propre vie, au moment où les questions fondamentales, mises sous le tapis de l'existence par toutes sortes de divertissements - au nombre desquels la "carrière", la "situation", le "travail" ... - surgissent avec leur propre force et temporalité.

Johann Chapoutot|Le Grand Récit

Dès les années 80 apparait la fin des philosophies de l'histoire et émerge la notion de postmodernité, désagrégation du corps social par la désagrégation des récits.

Le présent patine, le futur advient mécaniquement car le passé est congédié

Jean-Luc Marion|La modernité sans avenir

C'est le triomphe du libéralisme et de sa continuité sans avenir.

Notre temps, au fond, n'est guère plus capable, sur le fondement de sa lecture quantitative du monde, que de passer de l'analyse à la prévision grâce à la statistique. Nous connaissons et nous projetons du quantitatif ordonné, déjà connu, le long d'un axe mathématique symbolisant le temps, grâce à la statistique prédictive : "le futur, pensé à partir du présent [...] se résume tout entier en un prolongement du présent"

Johann Chapoutot|Le Grand Récit

Cette soit-disant fin de l'histoire est hantée par les ombres des récits du 20eme siècle:

  • Illimitisme comme continuation du culte du progrès
  • Ignorantisme comme aboutissement d'un managérialisme débridé
  • Messianisme comme résidu du roman national
  • Djihadisme comme résurgence du religieux sous forme radicalisée dans un monde nihiliste

Pour avancer, il faudra savoir à nouveau inventer et investir des récits pour mettre en forme notre réalité, notre identité.
Cela nécessitera de l'empathie, pour comprendre, et une temporalité plus lente, celle de la vita contemplativa aujourd'hui dévaluée.