Le gai savoir
Livre premier
Ceux qui enseignent le but de la vie
Pour Nietzsche, influencé, comme beaucoup au 19e siècle, par le darwinisme, le principe premier de la vie est celui de la survie de l'espèce. L'Individu n'y a qu'un rôle mineur.
Ce qui aurait pu nuire à l'espèce s'est peut-être éteint déjà depuis des milliards d'années [...] Suis tes meilleurs ou tes plus mauvais penchants et, surtout, va au diable! - dans les deux cas tu seras probablement encore, d'une façon ou d'une autre, le bienfaiteur de l'humanité
La Connaissance de cette insignifiance, de cette absurdité, est libératrice, et nous invite à rire de la vie plutôt que la prendre trop au sérieux: c'est là que la Sagesse peut être atteinte
Peut-être y a-t-il encore un avenir pour le rire! On le verra bien lorsque l'humanité se sera incorporé la maxime "l'espèce est tout, l'individu n'est rien" et que chacun disposera, à chaque moment d'un accès à cette délivrance ultime, à cette ultime irresponsabilité. Peut être alors que le rire se sera-t-il allié à la sagesse, peut-être ne restera-t-il plus que le "gai savoir"
Or, plutôt que la comédie, c'est pour le moment la tragédie qui est reine de ce monde.
Les professeurs de Morale s'appuient eux-aussi sur l'Instinct de conservation, mais le déguisent en Valeur noble, rwaisonnable et justifiée. Il s'agit donc pour eux de prouver que la vie a un but, pour qu'elle vaille le coup d'être vécue: ainsi émergent les arrières mondes et les règles morales
L'homme est devenu peu à peu un animal fantastique qui doit remplir une condition d'existence de plus que tout autre animal : l'homme doit de temps en temps croire qu'il sait pourquoi il existe, son espèce ne peut pas prospérer sans une confiance périodique en la vie! Sans la foi en la raison dans la vie. Et l'espèce humaine finira toujours par décreter : "Il y a quelque chose sur quoi l'on n'a absolument pas le droit de rire!"
Mais à terme, "l'éternelle comédie de l'Existence" refait surface.
Comprenez vous cette nouvelle loi du flux et du reflux. Nous aussi nous aurons notre heure!
La conscience intellectuelle
La majorité des gens sont dénués de ce qu'il appelle "Conscience intellectuelle" : la capacité a questionner ce qu'on prend pour acquis.
On me regarde avec des yeux étranges et l'on continue à se servir de sa balance, appelant telle chose bonne et telle autre mauvaise.
La plupart des hommes ne trouvent pas méprisable de croire et de vivre en conséquence sans avoir au préalable mis à l'épreuve les raisons dernières et certaines, sans même s'être donné la peine de trouver ces raisons.
Noble et vulgaire
Chez les "natures nobles", le sentiments nobles et généreux semblent toujours être un mensonge, qui cache un profit égoïste indirect, car la "nature vulgaire" ne perd jamais de vue son avantage.
ils se montrent méfiants à l'égard de l'homme noble, comme s'il cherchait son avantage par des chemins détournés.
Pire, si l'absence d'égoïsme est avéré, on plaide même pour la folie.
La "nature noble", elle, est tout ce qu'il y a de plus déraisonnable
L'homme noble, généreux, celui qui se sacrifie, succombe en effet à ses instincts, et, dans ses meilleurs moments, sa raison fait une pause
Son coeur lui monte à la tête et l'on parle de "Passion"
Les objets de cette déraison ont souvent peu de Valeur pour les natures vulgaires (la Connaissance, l'art,...).
Les natures nobles ont des échelles de valeurs particulières, qui font figure d'exceptions, tout en pensant ne pas avoir d'échelle de Valeur particulière, et pense ses valeurs universelles.
Elle croit en sa Passion comme à une Passion qui reste enfouie chez les autres, et cette croyance éveille justement son ardeur et son éloquence
Le monde leur parait alors fou, fou de ne pas reconnaître ce qui a de la Valeur.
Nietzsche, une nature noble?
La présentation de conscience intellectuelle semble présenter une opposition entre nature vulgaire et nature noble:
- #La conscience intellectuelle est tout pour Nietzsche
- Il cherche le moindre signe d'une telle conscience chez quelqu'un, et méprise ceux qui en sont dénués
- Il conclut les aphorismes par "C'est la mon injustice" et par "C'est là l'éternelle injustice des hommes nobles"
Ce qui conserve l'espèce
Toute société organisée endort les passions
Les méchants et les forts réveillent ces passions et appellent à créer du neuf.
Mais ce qui est neuf est mal, car il conquiert et renverse les valeurs préexistantes. Seul ce qui est vieux est bien.
Les hommes de bien de toutes les époques ont été ceux qui ont approfondi les vieilles idées pour leur faire porter des fruits, les cultivateurs de l'esprit. Mais toute terre finit par être épuisée et il faut que toujours revienne le soc de la charrue du mal.
Bien, Mal ne traduisent donc pas l'expérience de ce qui est adéquat ou non: cela signiferait que le bien conserve l'espèce et le mal lui est nuisible.
Bien, Mal sont tous deux nécessaires à l'espèces mais ont des fonctions différentes
Devoirs absolus
Contre ceux qui utilisent des devoirs absolus, tels que l'Impératif catégorique ou les religions. Ils veulent se sentir les instruments de commandements en lesquels ils ont une confiance absolue.
Ce sont les adversaires de l'émancipation Morale.
Celui qui se sent déshonoré à la pensée qu'il est l'instrument d'un prince, d'un parti, d'une secte ou même d'une puissance d'argent [...] mais qui veut justement être cet instrument ou bien est forcé de l'être, en face de lui-même et de l'opinion publique, celui-là aura besoin de principes pathétiques que l'on peut avoir sans cesse à la bouche : - des principes d'une obligation absolue auxquels on peut se soumettre et se montrer soumis sans honte. Toute servilité un peu subtile tient à l'Impératif catégorique et se montre l'ennemie mortelle de tous ceux qui veulent enlever au devoir son caractère absolu
Dignité perdue
La méditation a perdu toute la dignité de sa forme; on a tourné en ridicule le cérémonial et l'attitude solennelle de celui qui réfléchit et l'on ne tolérerait plus un homme sage du vieux style. Nous pensons vite, nous pensons en chemin, tout en marchant, au milieu des affaires de toute espèce, même lorsqu'il s'agit de penser aux choses plus sérieuses; il ne nous faut que peu de préparation, et même peu de silence : - c'est comme si notre tête contenait une machine en mouvement incessant, qui continue de travailler même dans les conditions les plus impropres à la pensée. Autrefois, quand quelqu'un allait penser - c'était là une chose exceptionnelle ! - on le voyait devenir plus calme et préparer son idée : il contractait le visage comme pour une prière et il s'arrêtait de marcher; certains pouvaient même se tenir immobiles pendant des heures - sur une ou sur deux jambes - dans la rue, lorsque la pensée "venait". Voilà qui s'appelait "penser"!
Pour ceux qui aiment travailler
Quiconque veut faire de la morale l'objet de son étude s'ouvre un énorme champ de fouilles
C'est ce qu'il fera dans La généalogie de la morale mais il fait déjà la liste des domaines qui pourraient passer à la moulinette de cette généalogie : amour, avidité, Droit, pénalité (ce sera la quête de Michel Foucault dans Surveiller et punir - Naissance de la prison), alimentation, ... C'est selon lui un champ immense qui s'ouvre.
A supposer que tous ces travaux fussent faits, la plus épineuse de toutes les questions viendrait alors au premier plan : la question de savoir si la Science est à même de donner des buts nouveaux à l'activité de l'homme, après avoir prouvé qu'elle peut en enlever et en détruire
Cette Science de la généalogie n'est que destructrice de Valeur (le lion, postmoderne) mais se révèle incapable d'en créer de nouvelles (l'enfant, métamoderne).
Réussir à créer de nouvelles valeurs nous emmènerait vers les plus grandes réalisations que l'homme ai pu faire
Jusqu'à présent l'Histoire n'a pas encore livré ses constructions cyclopéennes; pour cela aussi le temps viendra.
Vertus inconscientes
Les qualités personnelles conscientes ont une évolution différente des qualités personnelles inconscientes.
Ce serait une erreur d'y voir un ornement ou bien un moyen de défense, - car on ne peut les voir qu'au microscope
Nos qualités inconscientes sont trop fines pour être visibles, et ne peuvent donc être développées avec une approche utilitariste, qui répond à une logique d'évolution darwinienne, seulement instinctivement.
Nos éruptions
Il y a une infinité de choses que l'homme s'est appropriées à des stades antérieurs, mais d'une façon si faible et si embryonnaire que personne n'a pu s'en apercevoir, et qui, beaucoup plus tard, peut-être après après des siècles, jaillissent soudain à la lumière : dans l'intervalle elles sont devenues fortes et mûres.
Il semblerait que ce soit le chemin pris par les Vertus inconscientes à long terme, à travers les générations.
Souvent le fils déjà devient révélateur de son père : celui-ci se comprend mieux lui-même depuis qu'il a un fils.
Nous avons tous en nous des plantations et des jardins inconnus; et, pour me servir d'une autre image, nous sommes tous des volcans en travail qui auront leur heure d'éruption : il est vrai que personne ne sait si ce moment est proche ou lointain, le bon Dieu lui-même l'ignore.
Une sorte d'atavisme
Je ne puis mieux comprendre les hommes exceptionnels d'une époque que comme les pousses tardives, qui sortent soudain, de civilisations passées et de leurs forces [...] Maintenant ils apparaissent étranges, rares, extraordinaires.
De telles personnes doivent soigner ces qualités issues d'un temps passé qui ne sont plus reconnues par le présent. Elles deviennent soit de grands hommes soit des fous.
De telles situations se produisent surtout dans les classes conservatrices d'un peuple, car les valeurs y évoluent moins vite (noblesse)
L'évolution doit absolument être andante, car c'est l'allure d'un esprit passionné et lent : or, tel est l'esprit des races conservatrices
La conscience
La conscience est le dernier stade, le plus tardif, de ce qui est organique; c'est par conséquent aussi ce qu'il y a de moins achevé et de moins fort
C'est l'instinct, plus fort, qui préserve l'homme de sa Conscience.
Aussi la Conscience est-elle systématiquement tyranisée - et pas le moins par la fierté que l'on y met ! On s'imagine que c'est la le noyau de l'être humain, ce qu'il a de plus durable, d'éternel, d'ultime, de primordial ! On tient la Conscience pour une grandeur stable ! On nie sa croissance, son intermittence !
Parce que les hommes croyaient déjà posséder le conscient. Ils se sont donné peu de peine pour l'acquérir
Une tâche demeure toute nouvelle et à peine perceptible à l'œil humain, à peine clairement reconnaissable, la tâche de s'approprier le savoir et de le rendre instinctif
Le savoir doit devenir inconscient, dépasser la Conscience. C'est la Connaissance métalogique qui doit être privilégiée, il faut assimiler le savoir, le laisser nous transformer (s'incorporer).
Dans #Une sorte d'atavisme il qualifie les valeurs des castes conservatrices comme le contrecoup "d'instincts anciens", opposé aux évaluations (de la Conscience) trop rapidement changeantes.
Du but de la Science
Le but de la Science semble être celui de diminuer la quantité de déplaisir de l'homme.
Et si le plaisir et le déplaisir étaient tellement solidaires l'un de l'autre que celui qui veut goûter de l'un autant qu'il est possible, doit goûter aussi de l'autre autant qu'il est possible - que celui qui veut "jubiler jusqu'au ciel" doit aussi se préparer à être "triste jusqu'à la mort"?
En défendant la réduction des plaisirs, les stoïciens cherchaient aussi à réduire les déplaisirs et à ne trouver le bonheur que dans la Vertu
Si vous voulez diminuer et amoindrir la souffrance des hommes, eh bien! il vous faudra diminuer et amoindrir aussi leur capacité de se réjouir.
La Science pour Nietzsche s'était montrée jusque là comme réductrice de douleur. Mais il n'exclu pas qu'elle puisse aussi servir l'autre rôle : être "grande dispensatrice de douleurs", et par là même peut-être grande dispensatrice de joie? (Au moins elle a été grande dispensatrice de douleurs dès les grandes guerres mondiales)
Que signifie vivre?
Vivre - cela signifie : repousser sans cesse quelque chose qui veut mourir. Vivre - cela signifie : être cruel et implacable contre tout ce qui, en nous, devient faible et vieux, et pas seulement en nous.
Le renonciateur
Que fait celui qui renonce? Il aspire à un monde supérieur [...] - il se déleste de beaucoup de choses qui alourdiraient son vol et, parmi ces choses il y en a qui ont de la Valeur et qu'il aime : il les sacrifie à son Désir des hauteurs
Disciples que l'on ne souhaitait point
2 mauvais disciples de Nietzsche:
- celui qui ne sait pas dire "non": il souffrirait trop car les idées de Nietzsche exigent un plaisir de la négation et une capacité au conflit
- celui qui dit "oui mais": il se retrouverait au centre de toute les causes et les rendrait ainsi médiocres (compromis mous)
Historia abscondita
Tout grand homme possède une force rétroactive : à cause de lui, toute l'Histoire est remise sur la balance et mille secrets du passé sortent de leur cachette - pour être éclairés par son soleil
Épicure
Un pareil Bonheur n'a put être inventé que par quelqu'un qui souffrait sans cesse, c'est le Bonheur d'un œil qui a vu s'apaiser sous son regard la mer de l'Existence.
De la répression des passions
S'interdire l'expression des passions, c'est à terme affaiblir et transformer ces mêmes passions.
Connaissance de la misère
La Connaissance de la misère est ce qui différencie les hommes. Pendant la majorité de l'existence de l'humanité, la Violence et la misère étaient centrales dans l'expérience humaine. Or l'homme moderne n'y est plus du tout exercé de sorte qu'il redoute la douleur.
La philosophie pessimiste comme preuve d'un affaiblissement face aux maux minimes de la vie.
La naissance de la philosophie pessimiste n'est absolument pas l'indice de grandes et terribles misères; mais ces mises en question de la valeur de la vie en général se produisent en des temps où l'affinement et l'allègement de l'existence trouvent déjà trop sanglantes et trop malignes les inévitables piqûres de mouche de l'âme et du corps, et voudraient faire apparaître, dans la pénurie de véritables expérience douloureuses, des représentations communes douloureuses comme une souffrance d'espèce supérieure
Eh bien! Le remède contre la "misère" s'appelle : misère
Véracité
Je loue toute espèce de scepticisme auquel il m'est permis de répondre : "Essayons toujours!" Mais je ne veux plus entendre parler de toutes les choses et de toute les questions qui ne permettent pas l'expérience. Ce sont là les bornes de ma "véracité" : car ici la bravoure a perdu son Droit
Ce que les autres savent de nous
Ce que nous savons de nous-mêmes et ce que nous avons gardé dans la mémoire, pour le Bonheur de notre vie, n'est pas si décisif qu'on le croit. Il arrive un jour que ce que les autres savent sur nous (ou croient savoir) se jette sur nous - et dès lors nous reconnaissons que c'est là ce qu'il y a de plus puissant. On s'en tire mieux avec sa Mauvaise Conscience qu'avec sa mauvaise réputation.
La Conscience de l'apparence
Qu'est désormais pour moi l'"apparence"? Ce n'est certainement pas l'opposé d'un "être" quelconque [...] L'apparence est pour moi la vie et l'action elle-même qui, dans son Ironie de soi-même, va jusqu'à me faire croire qu'il y a là apparence.
Livre deuxième
Comme créateurs seulement
L'apparence primitive finit par devenir presque toujours l'essence, et fait l'effet d'être l'essence. Il faudrait être fou pour s'imaginer qu'il suffit d'indiquer cette origine et cette enveloppe nébuleuse de l'illusion pour détruire ce monde [...]. Nous ne pouvons détruire qu'en créant! - mais n'oublions pas non plus ceci : il suffit de créer des noms nouveaux, des appréciations et des probabilités nouvelles pour créer à la longue des "choses" nouvelles.
Le plus grand danger
Nous sommes éduqués à nous imposer la loi du consensus, car c'est elle qui fait que l'humanité perdure.
Mais les esprits les plus distingués s'y opposent, et préfèrent la folie
L'opposé du monde de la folie n'est ni la Vérité ni la certitude, mais l'universalité et l'obligation pour tous d'une même croyance, en un mot l'exclusion du bon plaisir dans le Jugement.
Ce besoin de consensus et de lenteur éloigne les esprits rapides des artistes et des poètes. Ils ne doivent pas devenir la norme pour autant, sans quoi la destruction arriverait. Comme le dionysiaque et l'apolinien qui se renforcent l'un autre tout en semblant opposés
Il est besoin de la bêtise vertueuse, d'inébranlables batteurs de mesure à l'esprit lent, pour que les croyants de la grande croyance générale demeurent ensemble et continuent à exécuter leur danse : c'est une nécessité de premier ordre qui le commande et l'exige ici. Nous autres, nous sommes l'exception et le danger, - nous avons éternellement besoin de nous défendre! - Eh bien ! il y a vraiment quelque chose à dire en faveur de l'exception, à condition qu'elle ne veuille jamais devenir la règle.
Deux orateurs
De ces deux orateurs l'un n'atteint toute la Raison de sa cause que lorsqu'il s'abandonne à la Passion : la Passion seule lui fait monter assez de sang et de chaleur au cerveau pour forcer sa haute intelligence à se révéler.
L'autre deviens confus quand la Passion l'emporte, et devient même méfiant de sa propre cause. Il doit se battre contre ses passions pour gagner
Les disciples de Schopenhauer
Nous aussi, nous devons croître et nous épanouir librement et sans crainte, dans un innocent amour de nous mêmes, par notre propre personnalité
Apprendre à rendre hommage
Rendre hommage s'apprend autant que mépriser
La reconnaissance pour les idées nouvelles met son temps à faire un bout de chemin, et ce ne sont pas le précurseurs qui touchent les fruits de leur travail, mais leurs successeurs.
Du timbre de la langue allemande
Explication de la lourdeur de la pensée allemande.
La langue allemande à d'abord été influencée par le langage de cour, policé et formel, comme un phénomène de distinction, à l'écrit, puis à l'oral, puis dans la pensée des gens.
Apparaît selon lui une deuxième qui prend en modèle l'officier militaire prussien, détaché et indifférent. Cela correspond à la militarisation du Reich.
Les allemands en tant qu'artistes
C'est pour contrer la lourdeur allemande que les artistes allemands doivent recourir à un excès de Passion qui vise le sublime.
Et c'est ainsi que leurs crampes ne sont souvent que des indices de leurs aspirations à la danse : pauvres ours dont l'âme est hantée par des nymphes et des sylvains cachés - et aussi par des divinités plus hautes encore
La musique qui intercède
J'aimerais que le germe devint arbre. Pour qu'une doctrine devienne arbre, il faut que l'on ait foi en elle, il faut qu'elle soit considérée comme irréfutable. L'arbre à besoin de tempêtes, de doutes, de vers rongeurs, de méchanceté, pour lui permettre de manifester l'espèce et la force de son germe; qu'il se brise s'il n'est pas assez fort. Mais un germe n'est toujours que détruit - et jamais réfuté!
Notre ultime gratitude envers l'art
Il faut de temps en temps nous reposer de nous-mêmes, en nous regardant de haut, avec une distance artistique, pour rire, pour pleurer sur nous; il faut que nous découvrions le héros et aussi le fou que cache notre Passion de la Connaissance; il faut, de-ci, de-là, nous réjouir de notre folie pour pouvoir rester joyeux de notre Sagesse. Et c'est précisément parce que nous sommes au fond des hommes lourds et sérieux, et plutôt encore des poids que des hommes, que rien ne nous fait autant de bien que le bonnet du fou.
Livre troisième
Luttes nouvelles
Dieu est mort : mais ainsi sont fait les hommes qu'il y aura peut-être encore pendant des milliers d'années des cavernes où l'on montrera son ombre - et nous, il nous faut encore vaincre son ombre.
Gardons nous
Critique d'une vision trop chrétienne de l'univers. L'univers y aurait un Sens, une mécanique, et la vie y serait une chose normale plutot qu'une eteange exception. Il faut donc se garder de blâmer ou louer l'univers pour quoi que ce soit, il ne respecte aucune loi et n'a aucun Instinct.
Lorsque vous saurez qu'il n'y a point de fins, vous saurez aussi qu'il n'y a point de hasard : car ce n'est qu'à côté d'un monde de fins que le mot "hasard" a un sens.
Gardons nous de dire que la mort est opposée à la vie. La vie n'est qu'une variété de la mort et une variété très rare.
C'est seulement quand nous nous serons débarrassé de cette vision de monde que nous ferons à nouveau partie de la nature
de monde que nous ferons à nouveau partie de la nature
Origine de la Connaissance
Initialement la Connaissance était surtout utile à la survie.
La notion de vérité apparaît plus tardivement. Seulement, il est difficile de vivre avec car elle contredit souvent nos sensations. En cela la vérité et la vie sont des antinomies.
Non seulement la foi et la conviction, mais encore l'examen, la négation, la méfiance, la contradiction devinrent un pouvoir, tous les "mauvais" instincts étaient sous-ordonnés à la Connaissance, placés à son service, on leur prêta l'éclat de ce qui est permis, vénéré et utile, et finalement le regard et l'innocence du bien. La Connaissance devint dès lors un morceau de la vie même et, en tant que vie, un pouvoir toujours grandissant.
Le penseur est celui chez qui la lutte entre vie est vérité est la plus forte
Origine de la logique
La logique apparaît comme moyen de survie par la classification du similaire: celui qui classe trop lentement les choses comme danger ou opportunité ne survit pas.
En soit tout circonspection à conclure, tout penchant sceptique est déjà un grand danger pour la vie. Aucun être vivant ne se serait conservé si le penchant contraire d'affirmer plutôt que de suspendre son Jugement, de se tromper et de broder plutôt que d'attendre, d'approuver plutôt que de nier, de juger plutôt que d'être juste, n'avait été développé d'une façon extrêmement intense.
Cause et effet
Nous n'opérons qu'avec des choses qui n'existent pas, avec des lignes, des surfaces, des corps, des atomes, des temps divisibles, des espaces divisibles - comment une interprétation saurait-elle être possible si, de toute chose, nous faisons d'abord une image, à notre image? Il suffit de considérer la Science comme une humanisation des choses, aussi fidèle que possible.
Cause et effet : voilà une dualité comme il n'en existe probablement jamais, - en réalité nous avons devant nous un continuum dont nous isolons quelques parties.
Pour la science des poisons
La pensée scientifique est née de multiples choses qui individuellement sont des poisons.
En joignant encore pensée scientifique, facultés artistiques et Sagesse pratique, un nouveau système organique se créera, bien supérieur à ceux qui existent à ce jour.
Les quatre erreurs
L'homme a été éduqué par ses erreurs
- il ne se vit toujours qu'incomplètement
- il s'attribua des qualités imaginaires
- il se sentit au dessus des animaux et de la nature
- il inventa des morales qu'il considéra comme éternelles et absolues
En finir avec ces erreurs c'est en finir avec la notion d'humanité
Instinct de troupeau
Par la morale, l'individu est instruit à être fonction du troupeau et à ne s'attribuer de la valeur qu'en tant que fonction.
La morale d'un groupe correspond aux conditions qui ont permis au groupe de se maintenir => les morales ne sont pas universelles mais dépendent du troupeau qui les a fait naître
Remords de troupeau
Être un Individu signifiait autrefois être seul, et n'étais pas positif.
Dans ce cadre, le libre arbitre était voisin de la Mauvaise Conscience.
Tout ce qui nuisait au troupeau, que l'Individu l'eût voulu ou non, lui causait alors des remords - et non seulement à lui, mais encore à son voisin, ou même à tout le troupeau ! - Voilà ce que nous avons le plus désappris
Santé de l'âme
Il existe d'innombrables santés du corps, autant que de personnes. Il n'y a pas de santé "normale"
Dès lors, c'est la santé de l'âme qu'il faut viser. La santé de l'âme, notre Vertu, a au final peut être aussi besoin de la maladie pour se développer (Nietzsche fait certainement état ici de sa position de malade qui l'a amené a developper sa philosophie)
hilosophie)
Sur l'horizon de l'infini
Nous avons quitté la terre et sommes montés à bord! Nous avons brisé le pont qui est derrière nous - mieux encore, nous avons brisé la terre qui était derrière nous! Eh bien! petit navire, prends garde! À tes côtés il y a l'océan : il est vrai qu'il ne mugit pas toujours, et parfois sa nappe s'étend comme de la soie et de l'or, une rêverie de bonté. Mais il viendra des heures où tu reconnaîtras qu'il est l'infini et qu'il n'y a rien de plus terrible que l'infini. Hélas! pauvre oiseau, toi qui t'es senti libre, tu te heurtes maintenant aux barreaux de cette cage! Malheur à toi, si tu es saisi du mal du pays, et su tu regrettes la liberté que tu avais là-bas, - car maintenant il n'y a plus de "terre"!
L'insensé
L'insensé
N'avez-vous pas entendu parler de cet homme insensé qui, ayant allumé une lanterne en plein midi, courait sur la place du marché et criait sans cesse : « Je cherche Dieu! Je cherche Dieu! » - Et comme là-bas se trouvaient précisément rassemblés beaucoup de ceux qui ne croyaient pas en Dieu, il suscita une grand hilarité. L'a-t-on perdu? dit l'un.
S'est-il égaré comme un enfant? dit un autre. Ou bien se cache-t-il quelque part ? A-t-il peur de nous? S'est-il embarqué? A-t-il émigré? – ainsi ils criaient et riaient tous à la fois. L'insensé se précipita au milieu d'eux et les perça de ses regards. « Où est Dieu? cria-t-il, je vais vous le dire! Nous l'avons tué – vous et moi! Nous tous sommes ses meurtriers! Mais comment avons-nous fait cela? Comment avons-nous pu vider la mer? Qui nous a donné l'éponge pour effacer l'horizon tout entier? Qu'avons-nous fait, de désenchaîner cette terre de son soleil? Vers où roule-t-elle à présent? Vers quoi nous porte son mouvement? Loin de tous les soleils? Ne sommes-nous pas précipités dans une chute continue? Et cela en arrière, de côté, en avant, vers tous les côtés? Est-il encore un haut et un bas? N'errons-nous pas comme à travers un néant infini?
Ne sentons-nous pas le souffle du vide? Ne fait-il pas plus froid? Ne fait-il pas nuit sans cesse et de plus en plus nuit? Ne faut-il pas allumer les lanternes dès le matin? N'entendons-nous rien encore du bruit des fossoyeurs qui ont enseveli Dieu? Ne sentons-nous rien encore de la putréfaction divine? – les dieux aussi se putréfient! Dieu est mort! Dieu reste mort! Et c'est nous qui l'avons tué! Comment nous consoler, nous, les meurtriers des meurtriers? Ce que le monde avait possédé jusqu'alors de plus sacré et de plus puissant a perdu son sang sous nos couteaux – qui essuira ce sang de nos mains? Quelle eau lustrale pourra jamais nous purifier? Quelles solennités expiatoires, quels jeux sacrés nous faudra-t-il inventer?
La grandeur de cette action n'est-elle pas trop grande pour nous? Ne nous faut-il pas devenir nous-mêmes des dieux pour paraîtres dignes de cette action? Il n'y eut jamais d'action plus grande – et quiconque naîtra après nous appartiendra, en Vertu de cette action même, à une Histoire supérieure à tout ce que fut jamais l'Histoire jusqu'alors! » - Ici l'homme insensé se tut et considéra à nouveau ses auditeurs : eux aussi se taisaient et le regardaient sans comprendre. Enfin il jeta sa lanterne au sol si bien qu'elle se brisa et s'éteignit. « J'arrive trop tôt, dit-il ensuite, mon temps n'est pas encore venu. Ce formidable événement est encore en marche et voyage – il n'est pas encore parvenu aux oreilles des hommes.
Il faut du temps à la foudre et au tonnerre, il faut du temps à la lumière des astres, il faut du temps aux actions après leur accomplissement, pour être vus et entendus. Cette action-là leur est encore plus lointaine que les astres les plus lointains – et pourtant ce sont eux qui l'on accomplie! » On raconte encore que ce même jour l'homme insensé serait entré dans différentes églises où il aurait entonné son Requiem aeternam Deo. Jeté dehors, et mis en demeure de s'expliquer, il n'aurait cessé de répartir : « à quoi bon ces églises, si elles ne sont les caveaux et les tombeaux de Dieu?
Une résolution dangereuse
La résolution chrétienne de trouver le monde laid et mauvais a rendu le monde laid et mauvais
Les arrière mondes distraient l'homme du monde réel en mettant en avant ce défauts quitte à les accentuer et rendre impossible de profiter de ce qu'il a de beau
Le peuple élu
Le mécanisme de la création d'un pouvoir par les esclaves.
L'esclave est privé de tout pouvoir et souveraineté. Pour oublier le ressentiment, il se dirige vers un pouvoir absolu qui nous élève. Tout ce qui sort du règne de ce pouvoir absolu se retrouve inférieur.
Abandonner tout ce qui reste de pouvoir accroit encore le pouvoir de ce qui élève l'esclave, et l'élève donc d'autant plus.
Pour parler en image
La possibilité d'un Jésus-Christ n'apparait que dans ce contexte de soumission à un pouvoir omniscient et absolu. Dans ce contexte, la vision d'un dieu d'amour et de miséricorde passe nécessairement pour un miracle.
L'erreur du Christ
Le fondateur du christianisme s'imaginait que rien ne faisait souffrir d'avantage les hommes que leurs péchés : - c'était une erreur, l'erreur de celui qui se sent sans péchés, qui manque d'expérience! Ainsi son âme s'emplit de cette merveilleuse pitié qui allait à un mal dont son peuple lui-même, l'inventeur du péché, souffrait rarement comme d'un mal! - Mais les chrétiens ont su donner raison à leur maître après coup, ils ont sanctifié son erreur pour en faire une "vérité"
- Le judaïsme invente le péché pour élever le pouvoir de son dieu
- Dans ce contexte, l'amour de Jésus-Christ est une libération
- Mais cet amour et cette pitié crée en réalité la souffrance du péché qui n'existait pas auparavant
- Le christianisme fait l'éloge de l'ascèse et de la réduction des pouvoirs
Couleurs des passions
Des natures comme celle de l'apôtre Paul ont le mauvais oeil pour les passions; ils n'apprennent à en connaître que ce qui est malpropre, que ce qui défigure et brise les coeurs, - leur aspiration idéale serait donc la destruction des passions : pour eux ce qui est divin en est complètement dépourvu. A l'inverse de Paul et des juifs, les Grecs ont porté leur aspiration idéale précisément sur les passions, ils les ont aimées élevées, dorées et divinisées.
L'extrême utilité du polythéisme
Que chaque individu puisse édifier son propre idéal pour en déduire sa loi, ses plaisirs et ses droits, c'est ce qui fut considéré, je crois, jusqu'à présent comme la plus monstrueuse de toutes les aberrations humaines, comme l'idolâtrie par excellence; [...] Ce fut dans un art merveilleux, dans la force de créer des dieux - le polythéisme - que cet instinct put se décharger, se purifier, se perfectionner, s'anoblir
La morale a pour rôle de combattre cet instinct, et d'unifier tous les hommes sous un seul modèle.
Mais le polythéisme permet de faire vivre plusieurs modèles, sans qu'ils aient à se combattre et se nier. C'est là que l'individu et ses droits prennent leur source.
Au contraire, le monothéisme en ne reconnaissant qu'un seul dieu ne reconnait qu'un seul homme normal.
Insuccès des réformes
Pythagore et Platon, peut-être aussi Empédocle, et bien antérieurement les enthousiastes orphiques cherchèrent à fonder de nouvelles religions; [...] or, ils n'aboutirent qu'à des sectes. Chaque fois que la réforme de tout un peuple ne réussit pas et que ce sont seulement des sectes qui lèvent la tête, on peut conclure que le peuple a déjà des tendances très multiples et qu'il commence à se détacher des grossiers instincts de troupeau et de la moralité des moeurs : un grave état de suspens que l'on a l'habitude de décrier sous le nom de décadence des moeurs et de corruption, tandis qu'il annonce au contraire que l'oeuf va éclore et la coquille se briser.
Le succès ou non de nouvelles religions s'explique par l'uniformité des volontés des gens, signe d'un instinct de troupeau fort. Tel est le cas de la Réforme de Luther dans le nord de l'Allemagne.
Où l'on domine il y a des masses : où il y a des masses il y a besoin d'esclavage. Où il y a de l'esclavage, les individus sont en petit nombre et ils ont contre eux les instincts de troupeau et la Conscience.
De l'origine des religions
Sous l'empire des idées religieuses on s'est habitué à la représentation d'un "autre monde" [...] et la destruction des illusions religieuses vous laisse l'impression d'un vide angoissant et d'un manque. - Alors renaît, de ce sentiment, un "autre monde", mais loin d'être un monde religieux, ce n'est plus qu'un monde Métaphysique.
Le plus grand changement
L'expérience humaine est très étroitement liée à ses croyances.
Dès lors, l'humanité après la mort de Dieu est profondément différente de l'humanité qui la précède. Elle est-même pour le moment moins vive puisque nous n'avons pas encore trouvé les nouvelles valeurs qui rendront l'expérience humaine sans Dieu assez intense.
Nous avons donné aux choses une couleur nouvelle, et nous continuons sans cesse à les peindre autrement, - mais que pouvons-nous jusqu'à présent contre la splendeur du coloris de vette vieille maîtresse! - je veux dire l'ancienne humanité
Bonheur du renoncement
Celui qui se refuse une chose entièrement et pour longtemps croira presque l'avoir découverte lorsqu'il la rencontrera de nouveau par hasard, - et quel n'est pas le Bonheur de celui qui découvre!
Toujours en notre société
Tout ce qui est de mon espèce, dans la nature et dans la société, me parle, me loue, me pousse en avant, me console - : le reste je ne l'entends pas, ou bien, je m'empresse de l'oublier. Nous ne demeurons toujours qu'en notre société
Être profond et paraître profond
Celui qui se sait profond s'efforce d'être clair; celui qui se voudrait sembler profond à la foule s'efforce d'être obscur. Car la foule tient pour profond tout ce dont elle ne peut pas voir le fond : elle est si craintive, elle a si peur de se noyer!
Nos pensées
Nos pensées sont les ombres de nos sentiments, - toujours plus obscures, plus vides, plus simples que ceux-ci
Le penseur
C'est un penseur : ce qui veut dire qu'il s'entend à prendre les choses d'une façon plus simple qu'elles ne le sont.
Les bornes de notre ouïe
On n'entend que les questions auxquelles on est capable de trouver une réponse
Origine du bon et du mauvais
Seul inventera une amélioration celui qui sait se dire : " Ceci n'est pas bon."
Pensées et paroles
Même les pensées, on ne peut pas les rendre tout à fait par des mots.
Toujours chez soi
Un jour nous arrivons à notre but - et dès lors nous indiquons avec fierté le long voyage que nous avons dû faire pour y parvenir. En réalité, nous ne remarquions pas que nous voyagions. C'était au point qu'à chaque endroit nous avions l'illusion d'être chez nous.
Les négateurs du hasard
Nul vainqueur ne croit au hasard.
Ce que nous faisons
Ce que nous faisons n'est jamais compris, mais toujours seulement loué ou blâmé
Dernier scepticisme
Quelles sont en dernière analyse les vérités de l'homme? - Ce sont ses erreurs irréfutables.
Que dit ta Conscience?
Deviens ce que tu es.
Quel est le sceau de la liberté réalisée?
Ne plus avoir honte de soi-même
Les aphorismes 264 à 275 livrent une conclusion assez explicitement sur ce qu'est ce "gai savoir":
- La honte est mauvaise, il faut s'en libérer, à la fois pour soi et pour les autres
- Les valeurs doivent être réévaluées. Notamment la justice et la vérité. Elles ne sont que temporaires
- La douleur est nécessaire pour atteindre tout grand but
- Se réaliser nécessite de s'affranchir de ces anciens freins.
Livre quatrième - Sanctus Januarius (Saint Janvier)
Pour le nouvel an
Je veux apprendre toujours d'avantage à considérer comme beau ce qu'il y a de nécessaire dans les choses : - ainsi je serai de ceux qui rendent belles les choses. Amor fati : que cela soit dorénavant mon amour. Je ne veux pas entrer en guerre contre la laideur. Je ne veux pas accuser, je ne veux pas même accuser les accusateurs. Détourner mon regard, que ce soit là ma seule négation! Et, somme toute, pour voir grand : je veux n'être un jour qu'affirmateur!
Providence personnelle
Même lorsque nous atteignons l'apogée de notre vie, il ne faut pas s'imaginer s'inscrire dans une providence personnelle. Il ne s'agit souvent que de la "dextérité de notre sagesse" ou bien souvent même du hasard.
A l'occasion, il nous conduit la main, ce cher hasard, et la providence la plus sage ne saurait imaginer de musique plus belle que celle qui réussit alors sous notre folle main.
La pensée de la mort
Tous s'imaginent que le passé n'est rien, ou si peu de choses, et que l'avenir prochain est tout [...]. Chacun veut être le premier dans cet avenir, - et pourtant la mort et le silence de la mort sont les seules certitudes qu'ils aient tous en commun dans cet avenir!
Nietzsche se félicite de l'impensé de la mort et cherche à rendre la vie encore plus digne d'être vécue.
Architecture pour ceux qui cherchent la connaissance
Il manque aux villes des lieux de calme qui permettent la méditation et la réflexion.
L'église était par le passé maîtresse de la vita contemplativa, mais seulement en en faisant aussi une vita religiosa. Il s'agit désormais de dissocier les deux.
Savoir trouver la chute
Les maîtres de première qualité se reconnaissent en ceci que, pour ce qui est grand comme ce qui est petit, ils savent trouver la chute d'une façon parfaite
La foi en soi-même
Il y a en général peu d'hommes qui aient foi en eux-même; - et parmi ce petit nombre, les uns portent cette foi en naissant, comme un aveuglement utile ou bien un obscurcissement partiel de leur esprit [...], les autres sont obligés de l'acquérir d'abord : tout ce qu'ils font de bien, de solide, de grand, commence par être un argument contre le sceptique qui gît en eux; c'est celui qu'ils veulent convaincre et persuader, et pour y parvenir il leur faut presque du génie. Ce sont les grands insatisfaits d'eux-mêmes.
Une seule chose compte
"Donner du style" à son caractère - c'est là un art considérable qui se rencontre rarement! Celui-là l'exerce qui aperçoit dans son ensemble tout ce que sa nature offre de forces et de faiblesses pour l'adapter ensuite à un plan artistique, jusqu'à ce que chaque chose apparaisse dans son art et sa Raison et que les faiblesses mêmes ravissent l'œil. Ici il a ajouté une grande part de seconde nature, là il a enlevé un morceau de nature première : - dans les deux cas, il a fallu une lente préparation et un travail quotidien. [...] Il fait attendre la fin de l'ouvrage pour voir régner partout le même goût, en grand et en miniature : la qualité du goût, qu'il soit bon ou mauvais, importe beaucoup moins qu'on ne croît, - l'essentiel c'est que le goût soit un.
Notre atmosphère
Pour s'élever il faut s'entourer d'une atmosphère "claire, transparente et vigoureuse", à l'image du monde de la science :
La sévérité qu'il faut mettre au service de la science, cette rigueur dans les petites comme dans les grandes choses, cette rapidité dans l'enquête, le jugement et la condamnation a quelque chose qui inspire la crainte et le vertige.
Cette atmosphère est effrayante pour ceux qui n'y sont pas initiés, mais nécessaire à l'épanouissement de ceux qui le sont:
Partout ailleurs, l'esprit libre ne trouve pas assez d'air ni de propreté; il craint qu'ailleurs [...] la moitié de sa vie lui passerait entre les doigts, perdue dans des malentendus, que partout il faudrait beaucoup de précautions, de secrets, de considérations personnelles, - et tout cela serait une grande et inutile perte de force.
Faisons ce qui est seul en notre pouvoir : apportons la lumière à la terre, soyons "la lumière de la terre"! Et c'est pour cela que nous avons nos ailes, notre rapidité et notre sévérité
Contre les calomniateurs de la nature
L'on reconnaîtra toujours la noblesse à ce qu'elle n'a pas peur d'elle-même, à l'incapacité de faire quelque chose de honteux, au besoin de s'élever dans les airs sans hésitation, de volée où nous sommes poussés, - nous autres oiseaux nés libres! Où que nous allions, tout devient libre et ensoleillé autour de nous.
Soupir
J'ai saisi cette idée au vol, et vite j'ai pris les premiers mots venus pour la fixer, de crainte qu'elle ne s'envole de nouveau. Et maintenant elle est morte de ces mots stériles; elle est là suspendue, flasque sous ce lambeau verbal - et en la regardant, je me rappelle à peine encore comment j'ai pu avoir un tel bonheur en attrapant cet oiseau.
Ce qu'il faut apprendre des artistes
Les choses ne sont pas belles ou laides en elles-mêmes mais dans le regard que l'on porte sur elles. Tels des artistes nous devons créer des compositions belles à partir d'une matière première. La beauté est le résultat d'un acte de création.
Nous voulons être les poètes de notre vie, et cela avant tout dans les plus petites choses quotidiennes !
Prélude de la science
Magie, alchimie, astrologie ont été les préludes de la science. Elles ont promis plus que ce qu'elles pouvaient réaliser, mais ont créé "le goût des puissances cachées et defendues", donc le goût de la connaissance.
Peut-être en est-il de même des religions, peut être ne sont elles encore que des préludes.
L'on pourrait se demander si vraiment, sans cette école et cette préparation religieuse, l'homme aurait appris à avoir faim et soif de son propre moi, à se rassasier et à se remplir de lui-même. Ne fallut-il pas que Promethée crût d'abord avoir volé la lumière et qu'il en pâtit - pour découvrir enfin qu'il avait créé la lumière, en désirant la lumière, et que non seulement l'homme, mais encore le dieu, avaient été l'œuvre de ses mains
On croit d'abord voler un mystère au monde, puis on comprend que c'est en réalité notre désir qui par l'acte de création met en forme le monde et nous donne ce que nous pensions avoir volé.
Illusion des contemplatifs
La création par excellence, c'est la création des valeurs. Ceux qui agissent selon des valeurs établies restent bien moins influents que les contemplatifs qui établissent de nouvelles valeurs. Cependant, il est facile d'oublier la puissance des forces contemplatives.
Les hommes supérieurs se distinguent des inférieurs par le fait qu'ils voient et entendent infiniment plus, et ils ne voient et n'entendent qu'en méditant - et cela précisément distingue l'homme de l'animal et l'animal supérieur de l'inférieur. Le monde s'emplit toujours davantage pour celui qui s'élève dans les hauteurs de l'humanité, de plus en plus d'hameçons lui sont lancés, l'intérêt grandit autour de lui, et dans la même proportion ses catégories de plaisir et de déplaisir, - l'homme supérieur devient toujours en même temps plus heureux et plus malheureux. Mais en même temps une illusion l'accompagne sans cesse : il croit être placé en spectateur et en auditeur devant le grand spectacle et devant le grand concert qu'est la vie : il dit que sa nature est contemplative et ne s'aperçoit pas qu'il est lui-même le véritable poète et le créateur de la vie, - que s'il se distingue de l'acteur de ce drame, le soi-disant homme d'action, il se distingue bien davantage encore d'un simple spectateur, d'un invité placé devant la scène. Il a certainement en propre, étant poète, la vis contemplativa [force de contemplation] et le retour sur son oeuvre, mais en même temps et avant tout, la vis creativa [force de creation] qui manque à l'homme qui agit, quoi qu'en disent l'évidence et la croyance reçue. Nous qui méditons et sentons, c'est nous qui faisons pour de bon et sans cesse quelque chose qui n'existe pas encore : à savoir ce monde toujours grandissant d'appréciations, de couleurs, d'évaluations, de perspectives, de degrés, d'affirmations et de négations. C'est ce poème de notre invention que ceux que l'on appelle les hommes pratiques (nos acteurs) ont appris, exercé, répété, traduit en chair et en réalité, oui, même en vie quotidienne. Tout ce qui a quelque Valeur dans le monde actuel n'en a pas par soi-même, selon sa nature - la nature est toujours sans Valeur : - il a fallu lui donner une Valeur, la lui attribuer, et c'est nous qui l'avons fait ! Nous seuls avons créé le monde qui intéresse l'homme ! - Or, nous ne le savons pas, et s'il nous arrive un Instant d'en prendre Conscience, nous l'oublions aussitôt l'Instant d'après: nous méconnaissons notre meilleure force et nous nous sous-estimons quelque peu, nous autres contemplatifs - nous ne sommes donc ni aussi fiers, ni aussi heureux que nous pourrions l'être.
En agissant nous délaissons
Au fond je n'aime pas toutes ces morales qui disent : "Ne fais pas telle chose! Renonce! Surmonte-toi !" - Jaime par contre toutes ces autres morales, et à en rêver du matin au soir et du soir au matin, à ne pas penser à autre chose qu'à bien faire cela, aussi bien que moi seul je suis capable de le faire ! Qui vit ainsi dépouille continuellement l'une après l'autre les choses qui ne font pas partie d'une pareille vie; sans haine et sans répugnance, il voit aujourd'hui telle chose et demain telle autre prendre congé de lui, comme une feuille jaunie se détache de l'arbre au moindre souffle : d'ailleurs, il peut ne pas même s'apercevoir qu'elle le quitte, tant son oeil regarde sévèrement son but, en avant et non à côté, en arrière ou vers le bas. "Notre activité doit déterminer ce que nous laissons de côté : en agissant, nous délaissons"
L'empire sur soi-même
Ces professeurs de morale qui recommandent à l'homme d'abord et avant tout de se faire Violence, le gratifient ainsi d'une maladie singulière : je veux dire d'une irritabilité constante devant toutes les impulsions et les penchants naturels et, en quelque sorte, d'une espèce de démangeaison. Quoi qu'il leur advienne du dehors ou du dedans, une pensée, une attraction, une incitation - toujours cet homme irritable s'imagine que maintenant son empire sur soi-même pourrait être en danger: sans pouvoir se confier à aucun Instinct, à aucun coup d'aile libre, il est sans cesse sur la défensive, armé contre lui-même, l'oeil perçant et méfiant, lui qui s'est institué l'éternel gardien de son donjon. Certes, il peut ainsi être grand ! Mais combien il est devenu insupportable aux autres, difficile à porter pour lui-même, comme il s'est appauvri et isolé des plus beaux hasards de l'âme ! et aussi de toutes les leçons futures ! Car il faut savoir se perdre pour un temps si l'on veut apprendre quelque chose des êtres que nous ne sommes pas nous-mêmes.
Stoïcien et épicurien
L'épicurien se choisit les situations, les personnes et même les événements qui cadrent avec sa constitution intellectuelle extrêmement irritable, il renonce à tout le reste - c'est-à-dire à la plupart des choses - puisque ce serait là pour lui une nourriture trop forte et trop lourde. Le stoïcien, au contraire, s'exerce à avaler des cailloux et des vers, des tessons et des scorpions, et cela sans en avoir le dégoût; son estomac doit finir par être indifférent à tout ce qu'offre le hasard de l'existence
Le Stoïcisme est un allié de choix dans les moments de hasard et de Violence car il renforce notre carapace.
Lors de retrouvailles
Je veux créer pour moi mon propre soleil
Prendre au sérieux
L'intellect de la plupart des gens est une machine pesante, obscure et gémissante qu'il est difficile de mettre en marche : quand ils veulent travailler et bien penser avec cette machine ils disent qu'ils "prennent la chose au sérieux" - oh! combien ce doit être pénible pour eux de "bien penser" ! La gracieuse bête humaine a l'air de perdre chaque fois sa bonne humeur quand elle se met à bien penser; elle devient "sérieuse" ! Et, "partout où il y a rires et joies, la pensée ne vaut rien" : c'est là le préjugé de cette bête sérieuse contre tout "gai savoir" Eh bien, montrons que c'est là un préjugé !
Loisir et oisiveté
On vit comme quelqu'un qui craindrait sans cesse de "laisser échapper" quelque chose. "Plutôt faire n'importe quoi que de ne rien faire" [...] La chasse au gain force l'esprit à s'épuiser dans une dissimulation sans trêve, dans une duperie permanente ou dans dans le souci de démasquer l'autre : la véritable Vertu consiste maintenant à doubler son voisin. [...] Oh ! Quelle suspicion grandissante sur toute joie ! Le travail a de plus en plus la bonne Conscience de son côté : le penchant à la joie s'appelle déjà "besoin de se reposer" et commence à avoir honte de soi-même. [...] Oui, on en viendra bientôt à ne plus céder à un penchant pour la vita contemplativa (c'est-à-dire à se promener avec des pensées et avec des amis) sans se mépriser ni avoir Mauvaise Conscience.
Applaudissements
Le penseur n'a pas besoin d'applaudissements, pourvu qu'il soit certain des siens propres : car de ceux-là il ne peut se passer. Peut-on se dispenser de tout applaudissement? J'en doute fort.
Qu'est ce que connaître
Nous nous figurons qu'Intelligere est quelque chose de conciliant, de juste, de bien, quelque chose d'essentiellement opposé aux instincts; tandis que ce n'est en réalité qu'un certain rapport des instincts entre eux.
La majorité de la pensée n'est pas consciente et les instincts sont ce qui fait surface de cette pensée inconsciente.
C'est cette lutte, parfois violente qui peut fatiguer le penseur
Aimer s'apprend
Nous somme toujours récompensés de notre bonne volonté, de notre patience, de notre équité, de notre douceur à l'égard des choses étrangères, lorsque pour nous elles écartent lentement leur voile et se présentent dans leur nouvelle et indicible beauté : c'est leur manière de nous remercier de notre hospitalité. Même l'amour de soi passe par là : il n'y a pas d'autre voie. L'amour aussi, il faut l'apprendre.
Vive la physique !
Nietzsche nous exhorte à nous observer nous-mêmes (connais toi toi même) => physique = discipline du désir, discipline de notre relation au monde.
La morale, la "conscience" sont des croyances qui ont leur Histoire propre. Il s'agit d'aller plus loin que de s'y plier: il faut les questionner.
La fermeté de ton Jugement moral pourrait encore être une preuve d'une pauvreté personnelle, d'un manque d'individualité, ta "force morale" pourrait avoir sa source dans ton entêtement - ou dans ton incapacité de percevoir un idéal nouveau ! En un mot : si tu avais pensé d'une façon plus subtile, mieux observé et appris d'avantage, jamais tu n'appellerais plus "devoir" et "Conscience" ce devoir et cette Conscience que tu crois être personnels.
Critique de Kant:
- La chose en soi, "quelque chose de bien risible" car pour Nietzsche les apparences sont la chose et il n'y a pas d'Arrière monde à aller débusquer
- L'Impératif catégorique est le retour à la religion de celui qui croyait s'en émanciper en fondant la morale de manière rationelle
Comment? Tu admires l'impératif catégorique en toi? Cette fermeté de ce que tu appelles ton jugement moral? Ce sentiment "absolu" que "tout le monde porte en ce cas le même Jugement que toi"? Admire plutôt son égoïsme! [...] Car c'est de l'égoïsme de considérer son propre Jugement comme une loi générale
En réalité, chaque morale est unique par les valeurs qui la sous-tendent, spécifiques à chaque individu. Cependant ces moteurs de nos actions restent souvent impénétrables pour l'extérieur.
Limitons-nous donc à l'épuration de nos opinions et de nos appréciations et à la création de nouvelles tables de valeurs qui nous soient propres [...] Oui, mes amis, il est temps de montrer son dégoût pour tout le bavardage moral des uns sur les autres. Rendre des sentences morales doit être contraire à notre goût.
Nous autres, nous voulons devenir ceux que nous sommes, - les nouveaux, les uniques, les incomparables, ceux qui se donnent leurs propres lois, ceux qui se créent eux-mêmes!
La volonté de souffrir et les compatissants
La souffrance personnelle est unique et reste profondément incompréhensible aux autres.
Toute l'économie de mon âme, son équilibre par le "malheur", les nouvelles sources et les besoins nouveaux qui éclatent, les vieilles blessures qui se ferment, les époques entières du passé qui sont refoulées - tout cela, tout ce qui peut être lié au malheur, ne préoccupe pas ce cher compatissant, il veut secourir et il ne pense pas qu'il existe une nécessité personnelle du malheur. [...] Comme vous connaissez mal le Bonheur des hommes, gens du confort et de bonne volonté! - car le Bonheur et le malheur sont des frères jumeaux qui grandissent ensemble, ou bien qui comme chez vous, restent petits ensemble!
Il est plus simple de compatir, de porter secours aux autres que de suivre son propre chemin.
Notre "propre chemin" est précisément quelque chose de trop dur et de trop exigeant; quelque chose qui est trop loin de l'amour et de la reconnaissance des autres - ce n'est pas sans plaisir que nous lui échappons, à lui et à notre conscience la plus individuelle, pour nous réfugier dans la Conscience des autres et dans le temple charmant de la "religion de la pitié".
Si tu veux aider quelqu'un, aide ceux dont tu comprends entièrement la peine, ceux qui ont avec toi une joie, et un espoir en commun - tes amis : et seulement de la façon dont tu t'aides toi-même : - "je veux les rendre plus courageux, plus endurants, plus simples et plus joyeux! Je veux leur apprendre ce qu'aujourd'hui si peu de gens comprennent [...] : non plus la souffrance commune, mais la joie commune!"
Le poids le plus lourd
Et si un jour, ou une nuit, un démon te suivait dans ta suprême solitude et te disait : "Cette vie, telle que tu la vis actuellement, telle que tu l'as vécue, il te faudra la revivre encore une fois, et d'innombrables fois; et il n'y aura en elle rien de nouveau, au contraire! la moindre douleur et la moindre joie, la moindre pensée et le moindre soupir, ce qu'il y a d'infiniment grand et d'infiniment petit dans ta vie reviendra et tout reviendra dans le même ordre - cette araignée aussi et ce clair de lune entre les arbres, et aussi cet Instant et moi-même. L'éternel sablier de l'Existence se retournera sans cesse - et toi avec lui, poussière des poussières!" - Ne te jetterais-tu pas contre terre en grinçant des dents et ne maudirais-tu pas le démon qui parlerait ainsi? Ou bien as-tu déjà vécu un Instant assez prodigieux pour lui répondre : "Tu es un dieu, et jamais je n'ai entendu chose plus divine!" Si cette pensée s'emparait de toi, tel que tu es, elle te transformerait peut-être, mais peut-être t'anéantirait-elle; la question a "veux-tu cela encore une fois et un nombre incalculable de fois?", cette question pèserait sur toutes tes actions du poids le plus lourd ! Et alors, combien il te faudrait aimer la vie et t'aimer toi-même pour ne plus désirer autre chose que cette suprême et éternelle confirmation, cet éternel et suprême sceau!
Incipit tragoedia
Lorsque Zarathoustra fut âgé de trente ans, il quitta sa patrie près du lac Ourmi et s'en alla dans la montagne. Là il jouit de son esprit et de sa solitude et ne s'en lassa point dix années durant. Mais enfin son cour se transforma, - et un matin, se levant avec l'aurore, il s'avança vers le soleil et lui parla ainsi: "Ô grand astre! quel serait ton bonheur si tu n'avais pas ceux que tu éclaires! Depuis dix ans tu viens ici vers ma caverne : tu te serais lassé de ta lumière et de ce chemin, sans moi, mon aigle et mon serpent; mais nous t'attendions chaque matin, nous te prenions ton superflu et nous t'en bénissions, Eh bien vois! Je suis dégoûté de ma sagesse, comme l'abeille qui a recueilli trop de miel, j'ai besoin de mains qui se tendent. Je voudrais donner et distribuer jusqu'à ce que les sages parmi les hommes soient redevenus joyeux de leur folie, et les pauvres heureux de leur richesse. Pour cela je dois descendre dans les profondeurs : comme tu fais le soir, quand tu vas derrière les mers, apportant ta clarté au-dessous du monde, ô astre débordant de richesse! - Je dois descendre, ainsi que toi, me coucher, comme disent les hommes vers qui je veux aller. Bénis-moi donc, oeil tranquille, qui peux voir sans envie un bonheur même trop grand! Bénis la coupe qui veut déborder, que l'eau toute dorée en découle apportant partout le reflet de ta joie! Vois! cette coupe veut se vider à nouveau et Zarathoustra veut redevenir homme." - Ainsi commença le déclin de Zarathoustra
Livre cinquième: Nous les sans-peur
Notre gaieté
La nouvelle de la mort de Dieu n'est parvenue qu'à peu de gens, mais ses conséquences se profilent:
Tout ce qui va s'effondrer, maintenant que cette foi a été enterrée, tout ce qui était construit dessus, tout ce qui s'y appuyait et tout ce qui y croissait : par exemple toute notre morale européenne. Une série sans fin de démolitions, de destructions, de ruines et de chutes nous attend.
Nous autres philosophes et "esprits libres", en apprenant que "le Dieu ancien est mort", nous nous sentons illuminés d'une aurore nouvelle; notre coeur en déborde de reconnaissance, d'étonnement, d'appréhension et d'attente, - enfin l'horizon nous semble de nouveau libre, à défaut d'être clair [...]; la mer, notre pleine mer, s'ouvre de nouveau devant nous
En quoi nous sommes, nous aussi, encore pieux
La science repose sur une foi: "la vérité importe", plus que tout le reste. Pourquoi?
- "Je ne veux pas me laisser tromper"?
- "Je ne veux pas tromper, ni moi-même, ni les autres"?
- Terrain de la morale
C'est encore et toujours sur une croyance métaphysique que repose notre foi en la science, - que nous aussi, nous qui cherchons aujourd'hui la connaissance, nous les impies et les antimétaphysiques, nous empruntons encore notre feu à l'incendie qu'une foi vieille de mille années a allumé, cette foi chrétienne qui était aussi la foi de Platon, selon laquelle Dieu est la vérité et la vérité est divine...
La morale en tant que problème
Les grands problèmes exigent tous le grand amour, et seuls les esprits vigoureux, nets et sûrs en sont capables, les esprits à base solide, car ils se reposent sur eux-mêmes.
Nietzsche explique son programme de mise en question de la morale et d'historicisation. Il en souligne la singularité.
De l’origine du savant
La manière d’être savant d’une personne est étroitement associée à son origine sociale.
Encore l’origine des savants
La théorie darwinienne de l’évolution, qui met au centre des enjeux de la nature la lutte pour la survie semble émaner d’un contexte de détresse plus que d’un contexte d’abondance.
Le darwinisme anglais tout entier respire une atmosphère semblable à celle que produit la surpopulation des grandes villes anglaises, l’odeur de petites gens, misérablement à l’étroit. Mais lorsque l’on est naturaliste, on devrait sortir de son recoin, car dans la nature règne, non la détresse, mais l’abondance, et même le gaspillage jusqu’à la folie. La lutte pour la vie n’est qu’une exception, une restriction momentanée de la volonté de vivre
La lutte pour la survie est une forme diminuée de la vie, son extension plus complète est la volonté de puissance.
A l’honneur des natures sacerdotales
Ceux que le peuple considère être les « sages » ne sont souvent pas ceux qui se disent philosophes.
Ces « sages » sont les prêtres qui contemplent la vie dans l’ascèse, doux, sérieux, simples et chastes. Ils se sacrifient en débarrassant le peuple de ses péchés, « immondices de l’âme ».
A l’opposé se trouvent les philosophes, passionés de connaissance qui cherchent à atteindre les hauteurs quitte à vivre dans la tourmente.
C’est la modestie qui s’inventa en Grèce le mot "philosophe" et qui laissa aux comédiens de l’esprit le superbe orgueil de s’appeler sages, - la modestie de monstres de fierté et d’indépendance comme Pythagore et Platon.
Pourquoi l’on peut difficilement se passer de morale
La morale cache, chez l’homme européen, le peu de férocité qu’il lui reste et lui donne l’habille d’un voile de Vertu
N’avons-nous pas de bonnes raisons de cacher complaisamment nos actes sous les idées du devoir, de la Vertu, de l’esprit critique, de l’honorabilité, du désintéressement? Je ne veux pas dire que la moralité permet de masquer la méchanceté et l’infamie humaine, c’est-à-dire la dangereuse bête sauvage qui est en nous; au contraire! C’est précisément en tant qu’animaux domestiques que nous sommes un spectacle honteux et que nous avons besoin d’un travestissement moral […]. Ce n’est pas la bête de proie qui éprouve le besoin d’un travestissement moral, mais la bête du troupeau, avec sa médiocrité profonde, la peur et l’ennui qu’elle se cause à elle-même.
De l’origine des religions
Religion = mode de vie + interprétation qui donne du sens, une valeur à ce mode de vie.
Le mode de vie est souvent préexistant et le fondateur de religion trouve le premier la valeur de ce mode de vie préexistant.
Pour le christianisme, le mode de vie préexistant c'est celui des dominés de l'Empire Romain. Le christianisme leur donne le courage d'affronter cette vie difficile et de mépriser tout autre mode de vie.
Du "génie de l'espèce"
L'homme comme tout être vivant, pense sans cesse mais ne le sait pas; la pensée qui devient consciente n'en est que la plus petite partie, disons : la partie la plus médiocre et la plus superficielle; - car c'est cette pensée consciente seulement qui s'effectue en paroles, c'est-à-dire en signes de communication, par quoi l'origine même de la conscience se révèle. En un mot, le développment du langage et le développement de la conscience (non de la raison, mais seulement de la raison qui devient consciente d'elle même) se donnent la main.
La conscience est un outil de communication : elle permet de rendre intelligible, communicable ses états d'esprit pour être aidé.
L'homme inventeur de signes est en même temps l'homme qui prend conscience de lui-même d'une façon toujours plus aiguë; ce n'est que comme animal social que l'homme apprend à devenir conscient de lui-même
De part cet origine de communication, la conscience est un attribut du troupeau plus que de l'individu. En cela, elle gomme les singularités
Tous nos actes sont au fond incomparablement personnels, uniques, immensément personnels, il n'y a à cela aucun doute; mais dès que nous les transcrivons dans la conscience, ils ne le paraissent plus...
Sur le vieux problème : "Qu'est ce qui est allemand ?"
On voit ce qui a en somme triomphé du Dieu chrétien : c'est la morale chrétienne elle-même, la notion de véracité appliquée avec une rigueur toujours croissante, c'est la Conscience chrétienne aiguisée dans les confessionnaux et qui s'est transformée jusqu'à devenir la Conscience scientifique, la probité intellectuelle à tout prix.
Lorsque nous rejetons ainsi l'interprétation chrétienne, condamnant le "sens" qu'elle donne comme faux-monnayage, nous sommes saisis immédiatement et avec une insistance terrible par la question schopenhauérienne : l'existence a-t-elle donc un sens ? - une question qui aura besoin de quelques siècles pour être comprise entièrement et dans toutes ses profondeurs.
Quelle est la première distinction à faire pour les œuvres d'art
Art monologué vs art devant témoins.
L'art pour Dieu est un art devant témoin car celui qui croit en Dieu n'est jamais seul:
Pour un homme pieux il n'y a pas encore de solitude, - c'est nous qui avons été les premiers à inventer la solitude, nous autres impies.
L'art devant témoin, c'est l'artiste qui retranscrit la beauté de ce dont il est témoin, il n'est donc pas totalement celui qui crée.
L'art monologué, c'est l'art pour l'art, l'art de celui qui a "oublié le monde"
Le cynique parle
Critique de la musique de Wagner. Nietzsche veut cette critique plus physiologique (materialiste) qu'esthetique (idealiste)
Mon corps tout entier, que demande-t-il de la musique? Je crois qu'il demande un allégement : comme si toutes les fonctions animales devaient être accélérées par des rythmes légers, hardis, effréné et sûrs d'eux; comme si la vie d'airain et de plomb devait être transmuée dans l'or de mélodies délicates et douces.
Qu'est ce que le romantisme?
Critique de l'entrée en modernité de Nietzsche par le pessimisme et la musique Wagnérienne.
Je prenais la connaissance tragique pour le véritable luxe de notre civilisation, j'y voyais le plus précieux, le plus noble, le plus dangereux des gaspillages, je pensais, compte tenu de son opulence, que ce luxe lui était permis. De même, j'interprétais la musique allemande comme l'expression d'une puissance dionysiaque de l'âme allemande : en elle je croyais surprendre le grondement souterrain d'une force primordiale, comprimée longtemps et qui enfin se fait jour.
Tout art, toute philosophie peuvent être considérés comme des remèdes et des secours au service de la vie en croissance et en lutte : ils supposent toujours des souffrances et des souffrants. Mais il y a deux sortes de souffrants : il y a d'abord ceux qui souffrent de surabondance de vie, ceux qui veulent un art dionysiaque et aussi une vision tragique de la vie intérieure et extérieur - et il y a ensuite ceux qui souffrent d'un appauvrissement de la vie, qui demandent à l'art et à la Connaissance le calme, le silence, une mer lisse, ou bien encore l'ivresse, les convulsions, l'engourdissement, la folie. A cette dernière catégorie de besoin répond tout le romantisme en art et en philosophie, c'est à elle que répondent encore tant Schopenhauer que Wagner.
L'être le plus débordant de vie, le dieu et l'homme dionysien, peut se permettre non seulement de regarder ce qui est terrible et inquiétant, mais encore s'offrir le luxe de le faire lui-même, de tout détruire, de tout désagréger, de tout nier; sa surabondance l'autorise en somme à la méchanceté, à l'inanité, à la laideur, car il est capable de faire de chaque désert un pays fertile.
À l'égard de toutes les valeurs esthétiques je me sers maintenant de cette distinction capitale : je me demande dans chaque cas : "Est-ce la faim ou bien l'abondance qui crée ici". [...] Le Désir de destruction, de changement, de devenir, peut être l'expression de la force surabondante (mon terminus est pour cela, comme l'on sait, le mot "dionysiaque"), mais ce peut aussi être la haine de l'être manqué, nécessiteux, qui détruit, qui est forcé de détruire, parce que l'état de chose existant, tout état de chose, tout être même, le révolte et l'irrite
Nous qui sommes incompréhensibles
Nous prêtons à confusion - le fait est que nous grandissons nous-mêmes, nous changeons sans cesse, nous rejetons notre vieille écorce, nous faisons encore peau neuve à chaque printemps, nous devenons toujours plus jeunes, plus à venir, plus hauts et plus forts, nous enfonçons nos racines avec toujours plus de force dans les profondeurs [...] tandis qu'en même temps nous embrassons le ciel avec plus d'amour, de nos bras toujours plus vastes, aspirant la lumière du ciel toujours plus avidement, avec toutes nos branches et toutes nos feuilles. Nous grandissons, comme les arbres - cela est difficile à comprendre, aussi difficile à comprendre que la vie! - nous grandissons, non dans une seule direction, mais autant par en haut que par en bas, à l'intérieur et à l'extérieur, - notre force pousse en même temps dans le tronc, les branches et les racines, nous ne sommes plus du tout libres de faire quelque chose séparément... Car tel est notre sort : nous grandissons en hauteur; en admettant que ce soit là notre destinée néfaste- car nous habitons toujours plus près de la foudre! - eh bien! nous n'en tenons pas moins en honneur cette destinée, elle demeure ce que nous ne saurions partager, communiquer, - la destinée des sommets, notre destinée...
Pourquoi nous paraissons épicuriens
Nous sommes prudents, nous autres hommes modernes, prudents à l'égard des convictions ultimes; notre méfiance se tient aux aguets contre les ensorcellements et les duperies de Conscience qu'il y a dans toute forte croyance, dans tout oui ou non absolu : comment expliquer cela? Peut-être faut-il y voir, pour une bonne part, la circonspection de l'enfant qui s'est brûlé, de l'idéaliste désabusé, mais pour une autre part, la meilleure, la curiosité pleine d'allégresse de celui qui était autrefois collé à son coin jusqu'à en être exaspéré, et qui s'enivre et s'exalte maintenant dans l'illimité, "en toute Liberté". Ainsi se développe une tendance presque épicurienne à chercher la Connaissance, une tendance qui ne laisse pas échapper facilement le caractère incertain des choses ; de même une antipathie contre les grandes phrases et les attitudes morales, un goût qui refuse tous les antagonismes lourds et grossies et qui a Conscience, avec fierté, de son habitude des réserves.
"Et nous redeviendrons clairs"
Nous qui sommes riches et prodigues en esprit, placés comme des puits ouverts au bord de la route, ne voulant interdire à personne de puiser chez nous, nous ne savons malheureusement pas nous défendre, lorsque nous désirerions le faire, nous n'avons pas de moyens pour empêcher que l'on nous trouble, que l'on nous obscurcisse, que l'époque où nous vivons jette au fond de nous-mêmes son actualité la plus récente, que les oiseaux malpropres de cette époque y jettent leurs immondices, les gamins leurs bricoles et des voyageurs épuisés qui y reposent leurs petites et leurs grandes misères. Mais nous ferons ce que nous avons toujours fait ; nous entraînerons tout au fond ce que l'on nous jette - car nous sommes profonds, ne l'oublions pas - *et nous redeviendrons clairs...