Méditation sur la technique
L'insuffisance des besoins pour la vie humaine
Pour José Ortega y Gasset, l'homme est extra-naturel en ce qu'il poursuit le bien-être plus que le simple être-là. Ce que l'on identifie comme "besoin" ne l'est qu'au regard de l'être-là mais est souvent assez éloigné des conditions de notre bien-être. Les besoins nous rappellent à notre condition biologique.
L'homme ne s'acharne nullement à être dans le monde, mais à être bien. C'est pour lui la seule nécessité et tout le reste n'est besoin que dans la mesure où il rend possible le bien-être. Ainsi, seul l'objectivement superflu lui est indispensable.
Cet écart entre la nature et notre aspiration à bien-être, les difficultés que l'on doit combattre pour exister pleinement, sont ce qui nous incite à transformer le monde. La technique peut alors être définie comme l'effort que l'on fournit dans cette direction, un effort qui nous libère du besoin. Ce temps libéré ne restera pas vide, mais sera le lieu de l'otium - des loisirs - et nous permet d'oeuvrer à notre programme vital, de devenir ce que l'on aspire à être, afin d'atteindre le bonheur.
Voici la terrible condition, sans égale, de l'être humain, qui le rend unique dans l'univers. Imaginez à quel point c'est étrange et désarçonnant. Une entité dont l'être consiste non pas en ce qu'il est déjà, mais en ce qu'il n'est pas encore, un être qui consiste en ne pas encore être.
Programme vital Et technique
Ce programme vital peut varier profondément d'une culture à une autre. Par conséquent, la technique développée pour atteindre ces objectifs, elle aussi, varie. La technique n'est jamais première mais toujours subordonnée à un programme vital préétabli.
Le peuple chez qui prédomine l'idée qu'être bodhisattva correspond à l'être véritable de l'homme ne peut donner naissance à la même technique que celui qui aspire à être gentleman
- Le programme du bodhisattva est de réduire son existence propre au minimum pour faire un avec le tout. On pourra donc voir se développer les techniques de la méditation
- Le programme du gentleman est de maîtriser au plus son environnement pour se montrer joueur, au-dessus de la dureté du monde. Ainsi se développe le sport et son fair-play.
On oublie trop souvent que l'intelligence, aussi vigoureuse soit-elle, ne peut tirer d'elle-même sa propre direction; elle ne peut donc parvenir à de véritables découvertes technique. […] La capacité technique ne parvient à se constituer que dans le for intérieur d'une entité dont l'intelligence fonctionne au service de l'imagination, non pas technique mais créatrice de projets vitaux.
Évolution du rapport à la technique
Un principe radical pour découper en périodes l'évolution de la technique serait de considérer la relation même existant entre l'homme et sa technique ou, tourné autrement, l'idée que l'homme a entretenue au sujet de sa technique, non pas d'une technique déterminée ou d'une autre en particulier, mais de la fonction technique en général.
José Ortega y Gasset découpe l'évolution du rapport à la technique en 3 phases:
L'aboutissement moderne de cette évolution est un technicisme abstrait, détaché d'une finalité précise.
Isolé, le technicien devint l'expression pure, vivante de la technique en tant que telle : en somme, l'ingénieur.