L’étoffe dont sont tissés les vents – Autour de la Horde du Contrevent d’Alain Damasio
Une analyse philosophique de La Horde du contrevent
Il s'agit pour Alain Damasio dans son livre de mettre en action des concepts philosophiques. La pensée de Gilles Deleuze y joue un rôle important, notamment le livre Mille Plateaux, aux côtés de Spinoza et Nietzsche (tous deux ayant aussi fortement influencé Gilles Deleuze).
Trois dimensions de la vitesse
La vie, le mouvement et la vitesse sont quasiment synonymes.
Dimension => terme important car c'est une rupture d'échelle indépassable. Celui qui change de dimension n'est plus sur le même plan que les autres, il ne s'agit pas de faire plus mais profondément différent
Chaque dimension a sa propre fixité, sa propre lenteur.
La première dimension : la rapidité
Propriété quantitative, relative à l'espace et au temps
Cette première dimension est strictement continue et linéaire, elle est la diminution du temps pris par un corps pour aller d'un point A à un point B.
La seconde dimension : le Mû
La capacité de briser la continuité. Changement de cap sans préavis. Le Mû reste cependant linéaire, anticipable, car profondément biologique: "Il y a une grammaire. Il existe une syntaxe du mouvement, comme pour le vent." d'après Pietro
Le Mû est donc une propriété qualitative.
La troisième dimension : le devenir autre, l'irruption, le vif
Infatigable capacité à changer, l'idée nouvelle
Ne soyez rien, devenez sans cesse
Alain Damasio|La zone du dehors
Immanence et transcendance
Les oiseleurs Darbon et Tourse sont 2 représentations opposées du monde.
Darbon le fauconnier représente la transcendance
Le faucon vole à haute altitude, au dessus du monde et l'appréhende comme on appréhenderait une carte, en 2 dimensions. C'est un rapport vertical au monde, une relation de pouvoir, il cherche à surplomber, lutter contre le vent.
Tourse au contraire a un rapport immanent au monde, horizontal.
L'autour vole près du sol, il fait partie du monde et en appréhende toutes les dimensions. L'oiseau apprivoise les vents.
La puissance plutôt que le pouvoir. C'est cette approche qui en dernier recours montre sa supériorité.
Plus généralement, l'univers du livre est toujours immanent, profondément matériel, il n'y a que le vent, pas de dieux, pas de transcendance, pas d'Arrière monde
Le vif
Gilles Deleuze => la Ritournelle est un rythme. La répétition crée une stabilité dans le changement. Motif connu dans le toujours changeant. Dans un monde de mouvement, la Ritournelle évite la dispersion et crée une cohésion dans le chaos
Le vif, c'est une puissance bouclée sur elle-même, un Éternel retour.
Le vif est consubstantiel à la vie car il permet le retour du même, un ordre sur lequel elle peut se bâtir. Il est mouvement et stabilité, mouvement et lien.
Le vif, c'est le souffle vital, unique à chacun, et qui parfois nous survit.
¿' Caracole
Caracole personnifie la vision de la vie d' Alain Damasio. Issue du mouvement, elle doit sans cesse le maintenir vif et nourrir le lien pour ne pas disparaître
Caracole est une mise en personnage du Concept de Chaoïde de Gilles Deleuze. Un Chaoïde est capable de construire sur le chaos.
La Science, l'art et la philosophie en sont des chaoïdes
Qu'est ce qu'être en vie
Être en vie c'est être en mouvement et c'est être lié - tissé au ventre et lié aux autres. [...] Il te faudra inventer le sens de ta vie sans nous. Une terre sous tes pas.
Alain Damasio|La Horde du contrevent
Le récit de l'origine du monde de La Horde du contrevent est celui du mouvement. Un mouvement d'abord trop chaotique pour laisser émerger la vie, mais qui, en ralentissant, laisse se sédimenter du vivant. Le vivant est donc le fruit du ralentissement mais le ralentissement est aussi une menace pour la vie (cf #La neuvième forme).
Le mouvement, intérieur et extérieur est donc un critère ontologique de l'Existence.
Le Contre a Valeur en soit, comme mouvement, indépendamment de la pertinence de l'objectif qu'est l'Extreme-Amont. On s'approche ici du héros Absurde du Le mythe de Sisyphe.
Le contre est une Ligne de fuite
La ligne de fuite est une déterritorialisation. [...] Fuir, ce n'est pas du tout renoncer aux actions, rien de plus actif qu'une fuite
Gilles Deleuze|Dialogues
Quitter l'habitude, la sédentarité. Aller voir.
Le mouvement interne, c'est l'invitation au primultime
Vis chaque Instant comme si c'était le dernier.
Vis chaque Instant comme si c'était le premierAlain Damasio|La Horde du contrevent
Trois métamorphoses de l'esprit
Le livre fait référence aux métamorphoses de l'esprit de Ainsi parlait Zarathoustra de Nietzsche
- Le chameau : obéissance, "je dois"
- Le lion : volonté, "je veux"
- L'enfant : création, "je crée"
Les hordiers se métamorphosent au fil de leur périple. Beaucoup commencent chameau suite à leur éducation/formatage.
Tout au long de l'aventure, Golgoth incarne le lion, la volonté.
Épreuves personnelles, effort collectif
D'après L'Éthique de Spinoza, les passions intérieures propres à chacun dépassent les critères moraux absolus et arbitraires.
Les passions sont des Joies ou des Tristesses selon qu'elles améliorent ou diminuent notre perfection (puissance d'agir sur le monde).
Comme on ne peut se défaire de ces passions, il s'agit surtout pour être libre de comprendre les mécanismes qui déterminent ces passions, grâce au pouvoir de la Raison.
Liberté ≠ ne pas avoir de chaînes : on est plus libre quand on sait qu'on ne l'est pas que quand on croit qu'on l'est.
Le rapport physique au monde créé par le contre produit cette Connaissance intuitive de ce qui nous determine.
Ce rapport au monde, c'est ce que Spinoza appelle Dieu, Dieu comme immanence (le monde) et pas comme transcendance (un être supérieur).
Affiner notre rapport au monde, c'est augmenter notre puissance d'agir, notre Liberté.
La horde et la technologie
De ce principe émerge la relation contrariée de la horde à la technologie : la technologie est une médiation entre nous et le monde. Elle diminue notre puissance car notre rapport au monde devient plus distant. La technologie limite la capacité à rentrer en résonance avec le monde au moment où elle le rend entièrement disponible
Faire partie du monde, plutôt que le survoler: on retrouve la prééminence de l'immanent sur le transcendant
Ce qui comptait désormais semblait être le combien, pas le comment. Combien : la vitesse atteinte, la distance parcourue, les records de trajet. Et pas comment : le courage physique, la finesse de contre, l'invention d'une Trace.
Alain Damasio|La Horde du contrevent
La critique d'une technique omnipresente qui nous isole du monde est une critique récurrente de Alain Damasio contre les technococons qui nous surprotègent d'un monde perçu comme nocif.
La technique augmente notre pouvoir mais diminue notre puissance.
Conatus
Le collectif est animé par le Désir du contre, Désir maître, celui que Golgoth incarne dans sa plus pure forme.
Les désirs individuels ne sont pas toujours alignés avec le Désir du collectif, et peuvent l'aider ou l'empêcher.
Par exemple, le Désir de Connaissance du vent d'Oroshi la pousse dans la même direction que la Horde, mais le Désir de sédentarité de certains membre du pack les en éloigne.
La neuvième forme
C'est l'inverse du vif. La monotonie, la facilité, l'essoufflement.
La neuvième forme tue à coup sûr le chameau. Elle blesse à mort le lion. Mais l'enfant que tu sauras peut-être devenir pourrait lui survivre.
L'enfant survit car il sait créer de nouvelles raisons de vivre.
Pour Sov, celui dont la vie a été dédiée aux autres et aux liens, la neuvième forme est la solitude, et la vaincre c'est se réinventer un monde dans cette solitude.
La solitude n'existe pas. Nul n'a jamais été seul pour naître. La solitude est cette ombre que projette la fatigue du lien chez qui ne parvient plus à avancer peuplé de ceux qu'il a aimés, qu'importe ce qui lui a été rendu.
Alain Damasio|La Horde du contrevent
Cette réinvention de Sov par lui-même, c'est son devenir surhumain, l'aboutissement des transformations de son esprit:
l'homme dépendant aux autres (je dois), devenu capable de s'accepter dans son rapport à eux (je veux) puis vainqueur de sa Solitude, capable de faire vivre le collectif dans le désert de l'après